Jacob van Ruysdael est le plus grand des paysagistes hollandais, le seul qui ait pratiqué avec une égale maîtrise toutes les formes de la peinture de paysage, depuis les vastes panoramas jusqu'aux vues les plus intimistes et les plus délicates. Chaque fois que son pinceau touche la toile, c'est pour produire un chef-d'oeuvre.
Les canaux étaient les artères de Delft, car c’est par eux que circulaient tant les marchandises que les visiteurs ; Marcel Proust, après une visite à Delft, a décrit un de ces canaux : « Un petit canal ingénu… ébloui par la lumière pâle du soleil ; il courait entre une double rangée d’arbres que l’été finissant dépouillait de leurs feuilles et qui caressaient de leurs branches les fenêtres miroitantes des maisons tassées sur ses deux rives. »
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La lumière de Delft ! Que de pages lui ont été consacrées ainsi qu’à ses secrets réels ou imaginaires ! Le grand poète et dramaturge Paul Claudel l’appelait « la plus jolie lumière de la Hollande ».
Ce n’est pas une rencontre fortuite si cette tendance au réalisme se manifeste en ce temps et dans ce pays. L’époque qui produit Rembrandt et Vermeer est aussi celle qui voit l’avènement de la Raison comme le principe dont s’inspireront les savants et les philosophes de l’Europe. L’un des grands porte-parole de cette époque, René Descartes, illustre, à travers les six livres de son Discours de la Méthode, la fois nouvelle de ce siècle de la Raison dans la certitude mathématique et le pouvoir de la philosophie rationnelle, au point que l’esprit rationaliste du temps paraît condensé dans son adage célèbre : « Je pense donc je suis».
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Partout les hommes s’appliquent à examiner la réalité du monde physique qui les entoure ; la recherche les enfièvre, ils veulent en découvrir les lois. Les traditions poussiéreuses de l’aristotélisme et de la scolastique sont ébranlées, le mystère laisse place à l’expérience et l’observation supplante la superstition.
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Ce n’est pas par hasard que Descartes a vécu vingt ans en Hollande et y a formulé des théories qui font date dans l’histoire ; c’est tout simplement parce que la tolérance religieuse, une des conditions préalables du nouveau rationalisme, avait déjà force de loi dans ce pays un siècle avant que d’autres nations n’eussent cessé de brûler leurs sorcières et leurs hérétiques.
Prenant pour matière de ses tableaux des sujets aussi simples que ceux-ci –une jeune fille, une table, une chambre – (Jeune fille endormie) Vermeer a créé une œuvre peu abondante, mais qui confine à la perfection ; et ce n’est pas le moindre prodige de son art qu’il fascine le spectateur par sa quiétude et le subjugue par son harmonie.
La gamme de ses sujets est extraordinairement restreinte. Presque tous ses tableaux semblent avoir pour cadre deux petites pièces de sa maison de Delft … Comme l’a écrit Marcel Proust : « C’est toujours, quelque génie avec lequel ils soient recréés, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté ».
Durant la prime jeunesse de Vermeer, toute la Hollande parut prise de folie : cette frénésie avait pour cause une fleur étrange, récemment importée de Turquie, la tulipe. Il y avait beaucoup à gagner à créer des variétés bigarrées ou panachées et l’éleveur assez heureux pour provoquer une mutation pouvait espérer faire fortune. Ainsi un amateur de tulipes échangea-t-il mille livres de fromage, quatre bœufs, huit cochons, douze moutons, un lit et un complet contre un unique bulbe de tulipe « Vice-Roi ».
La spéculation se déchaîna et de nombreux Hollandais, tentés par la promesse de profits fabuleux, firent des investissements insensés.
La peinture hollandaise du XVIIe siècle s’impose non seulement par sa profusion et par l’admirable maîtrise technique de ses créateurs, mais aussi par le réalisme aigu avec lequel ces derniers nous ont restitué le visage de la Hollande et de son peuple. Jamais auparavant un ensemble d’artistes n’avait observé le monde extérieur avec une telle lucidité, ni traduit ses observations avec autant de fidélité. Délaissant les sujets religieux, mythologiques ou allégoriques chers à la Renaissance, ils ont enregistré ce qu’ils voyaient autour d’eux avec un art incomparable qui ignore l’affectation et l’emphase.
Il est difficile d’imaginer un artiste plus différent de Rembrandt que Jan Vermeer. Tandis que Rembrandt connut de son vivant la gloire et la richesse et eut des centaines de commandes, Vermeer semble n’avoir produit qu’une faible impression sur son époque. A la différence du prodigieux Rembrandt, qui produisit des centaines de toiles et des milliers de dessins, Vermeer mena une vie effacée et produisit peu. Moins de 40 œuvres sont connues aujourd’hui ; on ignore combien il put en vendre de son vivant –si même il y parvint.
La seule réalité qui soit commune aux peintres est la lumière qui rend visible tout ce qu'ils peignent. Sans elle, la peinture n'existerait pas.