Citations de Hallgrimur Helgason (137)
Désormais père et fils, Gestur et Lási rentrèrent chez eux le lendemain. Ils n’avaient plus qu’une tête d’écart, le jeune homme ne tarderait pas à rattraper en taille le vieil homme voûté. Bientôt, il devrait lui aussi se courber pour entrer dans le passage couvert menant à la pièce commune, cela équivalait à la communion dans l’Islande d’alors : quand les gamins devenaient adultes, ils devaient apprendre à courber l’échine, franchissant ainsi le premier pas qui finirait par les transformer en vieillards voûtés. La vieille Grandvör n’était pas plus haute debout qu’assise. Presque tous les habitants du fjord ressemblaient à des clous tordus. Sauf le pasteur, le marchand et le médecin qui marchaient le dos droit comme l’homme monté à bord de la goélette en France.
Septembre. Sa pluie glaciale et désagréable. Le fermier Lási est accroupi, les genoux gelés, sur son toit en herbe où il s’efforce de remettre en place la lucarne constituée du placenta séché d’une brebis (qui fuit et projette de l’eau sur les lits, les femmes et les enfants).
Il était surprenant de voir ce nazi mutilé si démuni face à deux femmes d’allure bourgeoise. Cette réserver détonnait avec l’uniforme SS. Les chefs militaires demeurent inchangés quand ils rentrent chez eux. Il était bien triste de voir papa saluer ses hommes à la sortie des jardins de Tivoli, exécutant le salut hitlérien de son bras plâtré. Papa bredouillait l’allemand avec un accent islandais, et moi, j’avais toujours l’impression que les allemands s’exclamaient en retour : « Hi p’tite mère ! »
En jeune fille courtoise, je répondais d’un « Hi ! » qui faisait tressaillir mon père, car le mot avait une connotation purement américaine.
- Le salut hitlérien n’est pas un jeu ! On ne se moque pas de la guerre !
Je continuais de dormir avec maman, car papa couchait dans la chambre d’amis, selon la doctrine : un militaire allemand ne dort qu’avec ses idéaux et sa nation.
La guerre tue tout le monde, même les survivants
Le premier amour dure toute une vie.
L'intelligence n'a rien à voir avec l'amour.
Et l'amour ne se soucie guère de l'intelligence. Lorsqu'il s'agit d'amour, nous sommes tous plus idiots les uns que les autres.
C'est incroyable comme l'amitié d'un paysage peut être précieuse.
Et il me sembla que le goût pour la feminité m'appelait à lui. Viens, viens donc, fillette. Toi aussi, tu deviendras femme, femme. Ne crois pas y échapper, y échapper. Viens donc avec tes traits d'enfant et tes fossettes de sourire et laisse-moi les inonder de doutes et de trouble. Toi aussi, tu porteras le poids de ta poitrine au fil de l'existence, appliqueras crèmes et parfums et colorations, combattras la graisse, affronteras les saignements, les naissances douloureuses et perdras de ta valeur comme un morceau de viande, pour atterrir au pays des rides avant d'être balancée dans le charnier de la destinée. Femme! Femme! Le bonheur prisonnier t'attend derrière le rideau rouge. Tu croyais être enfant et devenir être, tu comprends à présent que tu ne deviendras que femme.
Rien n'est plus comique que la vengeance d'un lâche, rien n'est plus tragique.
Et moi qui avait traversé toute une guerre, je fus contrainte d’admettre que, de toutes les perversions, les conflits privés sont les pires. Il est plus rassurant de savoir l’ennemi dans la tranchée d’en face que sur l’oreiller d’à côté.
Les guerres font du bien. Elles nous débarrassent des hommes. Pendant quelques années si on a de la chance voire complètement si tout fonctionne bien.
c’est précisément là que se manifeste tout le caractère d’une arme : si elle se révèle pénible pour sa victime, son détenteur en retire une grande sérénité
Le bonheur est le plus dangereux des sentiments. Plus il t'emmène haut, plus la chute est violente.
Qui se perd en forêt peu retrouver le droit chemin, mais qui se perd soi-même n'a aucune route à prendre.
Parfois, la chance ne se présente qu'une fois sur notre chemin, et malheur à qui la laisse passer.
En temps de guerre, tout le monde se sent bien, car personne ne contrôle rien. En temps de paix, le malheur s'empare des gens car il faut choisir et refuser. Toutes les guerres naissent de ce désir infini de bonheur. Il n'est rien de plus effrayant que la paix pour l'homme. L'homme est par nature une fourmi et préférera toujours être passager sur la route du destin plutôt que décider sa destination. En aucun cas il ne veut assumer cette responsabilité. Il admire allors tout être qui accepte ce sacerdoce. Et lorsqu'il est question de destin, la guerre est des plus radicales. C'est pourquoi on se sent si bien en temps de guerre : on retrouve en nous la paix intérieure.
Ce ne fut pas grâce à mes fils que je trouvai un nouvel abri quelques années plus tard, après avoir fui, grimée et grisée, ma maison de retraite. Toute une semaine durant, j’avais roulé avec mon lit au fil des rues, entre asphalte et neige fondue, à la recherche d’un logement, jusqu’à ce qu’une femme de ménage bien aimable se rappelle sa sœur et son garage. Ainsi vins-je à la rencontre de Gudjon et Dora, qui se révélèrent bien plus obligeants que mes enfants. En soi, le garage est une maison de retraite tout à fait décente.
Comme il est étrange de voir fleurs et bombes éclore sur la même plaine.
Nous dînions au restaurant de Mirko lorsque le type à la table voisine reçut une balle en pleine tête. Quelques gouttes de son sang atterrirent dans le verre de Munita. Je ne lui dis rien. Elle buvait du rouge, de toute façon.
L’odeur de la nourriture est à l’estomac vide ce que le parfum est à une érection.