Citations de Grégoire Delacourt (2618)
Ne sois jamais comme ton père, Antoine, sois brutal, sois fort, sers-toi, bouscule les femmes, fais-les tourbillonner, fais-les rêver, promets, même ce que tu ne pourras pas tenir, on vit toutes d'espérances, pas de réalité. La réalité c’est pour les ânes et les imbéciles, le dîner à 19h30, les poubelles, le baiser du soir, les tartelettes de dimanche à quatre cinquante chez Montois, une vie se rate si vite, Antoine, si vite.
Quelques années plus tard, j’ai rencontré un mari. Ne riez pas. Bien sûr qu’il était charmant. Beau même. De cette beauté que, nous les femmes, décelons chez un homme, lorsque nous avons faim. Il avait le regard, la voix, les mots maladroits ; il avait tous les pièges. Et après quelques nuits d’amour, quelques fièvres et autres douceurs, violences et baumes, je suis tombée enceinte. N’est-ce pas qu’ils sont drôles les mots. On tombe amoureuse, puis on tombe enceinte, puis on tombe de haut.
Le désir de tuer ou de se détruire et de tout détruire autour de soi est toujours doublé d'un immense désir d'aimer et d'être aimé, d'un immense désir de fusion avec l'autre et donc du salut de l'autre.
Louis Althusser, L'avenir dure longtemps
"Nos besoins sont nos petits rêves quotidiens. Ce sont nos petites choses à faire, qui nous projettent à demain, à après-demain, dans le futur ; ces petits riens qu'on achètera la semaine prochaine et qui nous permettent de penser que la semaine prochaine, on sera toujours vivants."
Vieillir est douloureux et féroce...On regarde les photographies de ses vingt ans, on cherche à se ressembler de nouveau, puis on finit par baisser les bras comme d'autres les lèvent pour se rendre.
J'allais emmener Aurore à la mer, parce qu'elle me l'avait demandé, parce que je le lui avais promis, et parce que j'y aimais plus que tout ce miracle des vagues qui meurent sur la plage et pourtant revivent sans cesse.
À certaines heures, dans certaines lumières, la mer, c'est le ciel.
–Le présent est la seule certitude, la seule île possible dans le vide.
C’est là que nous devons tous vivre.
Quand on est très petit, la longueur des bras permet juste d'atteindre le cœur de ceux qui nous embrassent. Quand on est grand, de les maintenir à distance.
J’esquisse un bref sourire en pensant à ce qu’aurait dit ma mère, Bouge, bouge, sinon on va te confondre avec quelqu’un d’autre. Quelqu’un d’autre. Elle n’aurait jamais osé dire pute.
Et me voilà soudain telle une asphalteuse de cinquante-cinq ans, belle encore, un brin classieuse, une vieille garde, et je me demande si je n’aurais finalement pas préféré cela.
"Je crois que l'on ne devrait mourir que d'amour. Sinon il n'aurait servi à rien."
Le chagrin est un serpent qui efface la trace de nos pas.
... parce qu'il n'est jamais facile d'être parfaitement synchrones au début d'une histoire d'amour. On doit apprendre à écouter, et non seulement ses mots, mais son corps, sa vitesse, sa force, sa faiblesse et ses silences qui déséquilibrent ; on doit perdre un peu de soi pour se retrouver dans l'autre.
Je le sais maintenant. Notre besoin d'aimé est insatiable et nos amours, inconsolables.
![](/couv/cvt_Un-jour-viendra-couleur-dorange_9163.jpg)
Et puis Djamila est sortie. Un ciel bleu, un vent froid.
Premiers pas maladroits. Équilibre précaire. Comme une désagréable ébriété. Une danse d'ourse. Une fille dans un sac gris. Informe. Difforme. Il ne restait rien de son allure de biche. De ses longues jambes caramel. De ses bras fins qui avaient serré le garçon contre sa poitrine. Son cœur qui battait la chamade. Le djilbab la gommait. Elle était d'un troupeau désormais. D’une ressemblance. Habitait la prison des hommes.
Elle a marché sans but, dans les rues de la cité aux noms d’oiseaux. Comme des injures, avait dit Bakki. Des injures. Elle regardait son ombre sur le trottoir. Une voile. Un nuage. Plus jamais une fille. Elle disparaissait au monde. Elle a croisé d'autres femmes comme elle. Elle a vu les visages résignés. Les regards éteints. La pâleur. Elle a vu toute une vie qui ne lui ressemblait pas, un crime parfait, et ses larmes ont délavé ses yeux de la plus belle couleur du monde, selon son petit amoureux. Mais ne pleure pas, Djamila. Sèche tes larmes. Et écoute le silence.
La paix. Salam, ma sœur. Tu n'entends plus les sifflets des garçons. Plus les mots mubtadhil. Les mots khanez. Vulgaires. Pourris. Qui blessent et dégueulassent.
Cette prison, c’est ta liberté de femme. Crois-moi, petite sœur.
Je préfère les crachats à la prison, Bakki. Apprends plutôt à tes frères à respecter les femmes. Frère.
Je suis une larme sans fin. Je pense avec nausée que leurs corps souillés ne valent pas les ulcères ou les taons, la grêle ou la peste, un animal volé ou une vierge séduite, car les Écritures ne leur consacrent aucun chapitre. Ils ne sont pas attendus au paradis. Ils sont juste jetés au silence.
Les chagrins d'amour sont aussi une forme d'amour.
Qui êtes-vous ?
Je suis ta fille papa. Je suis ta fille unique. Ton seul enfant. J'ai grandi en t'attendant et en regardant maman dessiner le monde. J'ai grandi dans la peur de n'être pas jolie à tes yeux, pas ravissante comme maman, pas brillante comme toi. J'ai rêvé de dessiner et de créer des robes, de rendre les femmes jolies. J'ai rêvé de Solal, du chevalier blanc, j'ai rêvé d'une histoire d'amour absolu ; j'ai rêvé d'innocence, de paradis perdus, de lagons ; j'ai rêvé que j'avais des ailes ; j'ai rêvé d'être aimé pour moi sans que j'aie besoin d'être bienveillante. Qui êtes vous ?
(monologue avec son père atteint d'alzheimer et qui oublie tout au bout de 6 minutes...)
"C'est dire oui, qui est difficile. Non est si facile. Non, je ne t'aime pas. Non, je n'ai pas faim. Non, je ne crois pas. Je ne suis pas libre, et non, je ne veux pas mourir.
Dire oui, c'est être vivant.
Dire oui, c'est marcher sur la crête du monde. C'est résister aux vents. C'est être le vent."
Ecrire, c’est parler une langue posthume. C’est se souvenir de l’oubli et se traduire en verbe. Ecrire, c’est se jeter sans avoir vu aucun fond, écouter se briser ses mots comme des os ; prendre le risque de mourir mais aussi de vivre.
Ecrire est périlleux. C’est ouvrir des tombes.
Tous les cœurs ne dansent pas les mêmes querelles.