Citations de Femi Kayode (36)
Nous suivons la jeune femme dans le vestibule, où un jeune homme squelettique fait les cent pas. Il s'interrompt, se tourne vers nous et s'essuie le nez sur la manche de son chandail en nous fixant avec hostilité. Son visage émacié, ses yeux injectés de sang et ses cheveux en bataille racontent une histoire que j'ai entendue bien des fois au fil des ans.
Pour moi, il ne fait aucun doute que Goldwin Emefele se drogue.
C'est la première fois que j'entre dans sa chambre et je ne l'ai jamais vu sans chemise. Je me retrouve face au corps le mieux bâti et le plus athlétique que j'ai jamais vu, seulement gâché par des cicatrices sur la poitrine et les côtes. Je détourne les yeux pour ne pas mourir de jalousie.
(...) mais montrez-moi un fonctionnaire nigérian qui ne vit pas au-dessus de ses moyens et je vous l'échangerai contre une licorne.
Elle a laissé l’eau couler. Intelligent. J’entre et l’éteins, mouillant ma manche. Les vêtements ont disparu. Encore ma faute. Je n’aurais pas dû la laisser seule. Je n’aurais pas dû la laisser avec une porte de sortie. Elle n’avait pas de manteau. Il est dans l’autre pièce. Elle portait probablement mon sweat à capuche.
Si ces jeunes gens étaient soupçonnés d’être des voleurs, la foule de leurs assaillants comptait peut-être d’anciennes victimes de vols restés impunis. Mais quelle part est-ce que ça peut représenter, sur une centaine de personnes en colère ?
Le fait est qu’on ne sait pas, et c’est encore pire que d’avoir dû enterrer mon fils dans un cercueil fermé parce qu’il aurait été trop cruel de laisser sa mère voir ce qu’il restait de son corps.
Je déteste les disputes, surtout quand le ton monte. Et de toute façon, lors d’une joute verbale, peu de gens peuvent espérer tenir tête à Afolake Taiwo, la plus jeune professeure de droit de l’université de Lagos. En presque dix-sept ans de mariage, je n’ai quasiment jamais eu le dernier mot.
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Même au téléphone, la rage d'Emeka est palpable, et je la laisse suivre son cours.
- J'ai insisté. J'ai utilisé tous mes contacts pour au moins m'assurer que cette piste, cette faille dans l'enquête, serait étudiée, et je n'ai rien obtenu. Ils n'ont rien fait parce qu'il était plus facile de croire que mon fils faisait partie d'une secte.
La frustration d'Emeka, due au fait qu'en dépit de sa fortune il n'a pas pu sauver son fils et n'arrive pas à déclencher une enquête sérieuse sur sa mort, imprègne tous mes échanges avec lui. Maintenant encore, comme lors des entretiens précédents, il se lamente parce que des inspecteurs débutants ont été assignés à l'affaire. Sa voix se brise pour de bon quand il me raconte que sa femme a sollicité une audience avec la première dame pour réclamer une enquête fédérale.
- Vous savez ce qu'elle lui a répondu ? demande-t-il d'une voix chevrotante. D'une femme à l'autre, la soi-disant mère de la nation a déclaré à mon épouse éplorée qu'il ne serait pas juste, politiquement, d'interférer avec les affaires d'un état.
Abubakar et moi avions discuté de cette partie du rapport indépendamment d'Emeka. Etant un crime capital, le meurtre aurait facilement pu devenir une affaire fédérale. Mais exposer, voire condamner au niveau national les agissements des sectes et les insurrections armées dans le delta du Niger - sans oublier la querelle politique continue entre le gouverneur de l'Etat et le président, lui-même natif de la région -, aurait aggravé une situation déjà tendue.
Je n’avais pas été intelligente comme je l’avais annoncé, mais je ne m’en suis rendu compte que plus tard. Et je déteste qu’il tente de me flatter. Je suis sur le point de le lui dire quand son téléphone sonne et qu’il détourne son attention de moi.
En me déplaçant autour de son corps, j’essaie de ne pas voir ses courbes, de ne pas sentir la douceur de sa peau sous le gant de toilette. Tente de ne pas regarder ses mamelons se resserrer pendant que j’essuie la saleté des hommes qui l’ont touchée.
Elle est nue en dessous. Je le savais déjà. Mais la voir comme ça, dans mon lit, cette femme avec des seins plus pleins que son corps ne le suggère, le ventre plat, la peau tendue sur des os saillants, une peau pâle et impeccable jusqu’au V entre ses jambes… La vie se fout de moi.
Mon esprit pense à ce qu’ils lui ont fait. Comment ils ont pris cette fille innocente et l’ont salie. Je déglutis profondément, m’étouffant presque avec la boule qui s’est formée dans ma gorge. La robe verte est tachée de sang et de saleté. Au moins, ce sang n’est pas le sien.
Elle est trop mince, je peux le voir même avec la robe, son visage est amaigri. Malgré tout, elle est belle. On ne peut pas le nier. Et je me souviens à quel point ses yeux étaient brillants et bleus il y a quelques instants. Plein de vie. Plein de feu.
Il est doux. Cependant certains font semblant d’être doux et ce sont ceux que l’on doit vraiment surveiller. Ce sont ceux qui nous blessent le plus.
Je dois me souvenir d’être forte parce qu’ils adorent quand on a peur. Ils aiment quand on pleure.
Je ferme les yeux, je respire profondément et j’enfonce mes ongles dans mes paumes. Ça fait mal, mais ça aide. Ça m’aide à me rendre forte. Je me rappelle Helga. C’était une chienne. Une salope horrible et sadique qui a eu ce qu’elle méritait. Je me souviens de Scarlett. Je me rappelle ce qu’elle a fait. Comment elle a frappé Helga avec la lampe, encore et encore. Comment elle l’a tuée. Scarlett pensait qu’elle pouvait nous sauver.
L’honnêteté et la bonté du grand sourire qu’il adressait à l’objectif m’ont fait ressentir la même colère que son père.
D’effacer le passé, avec tout ce que ça englobe. De repartir de zéro, sans péché ni besoin de pénitence.
Bientôt, mais pas maintenant.
M’enfuir loin d’ici, de lui, de tout ce qui a tenu ces lettres éloignées de moi, durant toutes ces années.
J’appréhende la lecture des messages de ma femme. La franchise de Folake risque de la pousser à confesser sa liaison et, si je suis à peu près certain qu’elle n’est pas du genre à le faire par texto, ses messages risquent d’être autant d’invitations à « discuter ». Mais dans la mesure où j’ai éprouvé, sans fondement, des craintes similaires à propos de mon père, c’est sûrement un peu de lâcheté de ma part.