Par Fabrice Gabriel, écrivain et critique littéraire.
Tous ceux qui ont vécu la période du confinement ont été saisis d'un désir continu de sortir, d échapper à l'injonction du « Restez chez vous ». K, le héros du Château de Kafka, aspire, lui, à rentrer, à rejoindre cet idéal du lieu fermé (das Schloss, « château » , signifiant également « serrure »). Dans le maquis des interprétations qui ont proliféré depuis que Kafka a laissé à la postérité son ultime roman publication posthume comme beaucoup de ses oeuvres , Fabrice Gabriel tente de trouver un nouveau chemin, susceptible d'éclairer en miroir l'expérience du confinement.
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C'étaient aussi des temps de solitude, comme on en vit seulement dans l'ennui dur des grandes villes.
Hélas, quand on comprend enfin que les morts ne nous ont pas quittés, il est souvent trop tard : c'est presque l'heure de mourir à son tour, de devenir soi-même un fantôme. Ou peut-être un ange.
Mais sa passion finit par se dissiper, pour les heaumes ou les hauberts (enfant, on aime les mots nouveaux), tandis que demeurèrent son goût des timbres et le souvenir du petit fantôme dans les buts du stade près du marronnier, au croisement des rues de France et de Graefinthal. Restait quand même Perceval, sa drôle de famille, son vieil oncle ermite, cette lance qui saigne et le Graal. Il s'était cru à l'abri du temps, dans son château du Moyen Age, avec ses ors et son lapidaire, les couleurs à combiner sans fin de ses pierres précieuses : chrysolithe, émeraude, améthyste, topaze, escarboucle ou cristal... C'était passé. Bientôt pourtant il monterait à cheval : il emprunterait, c'est tout vu, le palefroi d'Yvain lavé de sa folie noire. "L'amble de l'oubli", nota-t-il dans son journal.
Un autre encore de ses oncles portait au doigt une chevalière d'or et d'émeraude. C'était M.H. Rattaché par alliance, donc par hasard, au tronc tordu de la famille, M.H. rêvait pour elle d'un blason pur. Il voulut déterrer de force les racines mortes d'un arbre déjà sec : il se piquait de généalogie. Mal lui en prit, car il trébucha très vite sur une affaire taboue d'enfant trouvé, d'ascendants juifs. Bien sûr, il refusa de l'admettre, se fâcha, finit par réinventer le mythe sempiternel d'anciennes ramures aristocratiques et même anglaises.
Il faut du temps pour comprendre que les morts ne nous ont pas quittés, qu'ils sont toujours là pour nous veiller, nous surveiller. Ce ne sont pas des fantômes, non, plutôt des anges qui nous regardent, comme des yeux sans visage... Des anges ? Perdu devant l'écran blanc, la forêt du tableau, il cherchait en vain la distance exacte pour saisir à nouveau la forme de son frère (une fiction). Toute son imagination n'y suffisait pas.