Étienne Jodelle - Comme un qui s'est perdu dans la forêt profonde
Maudirai-je l'amour, maudirai-je de toi
La grâce ou la rigueur et trop douce et trop dure ?
Maudirai-je de moi une encline nature
A suivre et recevoir le mal que je reçois ?
Ah! Je le savais bien qu'elle a la fesse molle,
La paillarde qu'elle est, et que mon vit batteur
A son con effondré ne ferait point de peur!
Con qui va distillant un moiteuse colle,
Que te sert-il d'user de si prompte bricole,
D'un mouvement paillard et d'un soupir trompeur,
Témoignant que mon vit lui muguette le coeur?
Mon vit vague dedans comme en une gondole!
C'est une étable à vit et tout vit passager,
Quelque gros train qu'il ait, au large y peut loger,
Et n'est pas bien reçu s'il a petit bagage;
Et pour parler au vrai des honneurs de son con,
Il est aussi dolent, sans un vit de ménage,
Qu'un aveugle égaré qui n'a point de bâton.
De mes ennuis, chagrins, regrets, fureurs, douleurs,
Langueurs, pleurs, et sanglots enfants de mes malheurs,
Ni de cruel délai, s'il faut encor attendre,
Je ne me plains, pourvu qu'Oui, qu'un Nenni
Me fasse heureuse vie, ou mort heureuse prendre,
Mort qui de vie égale à cent mort m'ait banni.
Je me trouve et me perds, je m'assure et m'effroie,
En ma mort je revis, je vois sans penser voir,
Car tu as d'éclairer et d'obscurcir pouvoir,
Mais tout orage noir de rouge éclair flamboie.
Si quelqu'un veut savoir qui me lie, et enflamme,
Qui esclave a rendu ma franche liberté,
Et qui m'a asservi, c'est l'exquise beauté
D'une que jour et nuit j'invoque et réclame.
Madame, c'est à vous à qui premièrement
J'ai voué mon esprit, et ma voix et mon âme,
A qui j'offre ces vers, que d'une sainte flamme
l'amour même inspira à maint et maint amant.
Amour vomit sur moi sa fureur et sa rage,
Ayant un jour du front son bandeau délié,
Voyant que je ne m'étais sous lui humilié,
Et que ne lui avais encore fait hommage
J'oublie en revoyant votre heureuse clarté,
Forêt, tourmente, et nuit longue, orageuse, et noire.
Que de ce siècle horrible on me peigne un tableau
Par ordre y ordonnant l'étrange momerie
Où tout vice, tout crime, erreur, peste, furie,
De son contraire ait pris le masque et le manteau
« Sur la devise de la Cigale »
Quand le chien d’Érigone ou l’avant-Chien encore...
Quand le chien d’Érigone ou l’avant-Chien encore,
Au plus fort de l’Été d’une ardente cuisson
Sèche toute herbe aux champs, avançant la moisson
Que le Soleil doré de son or même dore :
Du plein jour l’âpreté, qui toute humeur dévore,
Vient tous gosiers d’oiseaux fermer à leur chanson,
La Cigale sans plus renforçant son haut son,
Sans fin de voix et deuil, l’œil du grand monde honore.
Car tu es la Cigale, et ta Dame un Soleil,
Mais au chaud de l’Été ton chaud n’est pas pareil,
Ni ton beau chant au chant de la rauque Cigale :
Car ta Dame peut faire ainsi qu’aucun flambeau
N’égale à ton avis son lustre en tout si beau
Qu’aucun chaud, qu’aucun chant, ton chaud, ton chant n’égale.