Esther Rotenberg

Elle se réfugie dans une librairie, à la recherche de mots consolateurs et en ressort trente minutes plus tard avec une pile de livres, achetés d'une façon compulsive selon les conseils du libraire. Elle se demande à chaque fois s'il ne serait pas possible de se faire interdire de librairie comme d'autres demandent à être proscrits de l'entrée des casinos car elle y effectue toujours l'achat de trop et y laisse régulièrement une fortune sans se laisser le temps de se refaire.
Elle pourrait construire des tours de Babel avec tous ses ouvrages à vertu thérapeutique. Ils sont ses produits d'entretien à multi-usage, des détergents efficaces contre la crasse ambiante. Elle en fourgue partout, dans ses sacs, dans sa boîte à gants et dans ses tiroirs, prête pour n'importe quelle salle d'attente ou salle d'audience. On n'est jamais trop précautionneux.
Elle se glisse entre les livres comme dans un sac de couchage douillet. Elle y inhale ce français qu'elle aime tant et qui est à lui seul une nationalité comme l'a si bien proclamé Camus. Elle se sent alors protégée par son élégance qui la met le temps d'une page à l'abri des comportements assassins.

Elle a toujours du mal à intégrer ce niveau d'exigence, ces prérequis en condition préalable à sa démarche d'adoption. C'est sûrement dans toutes ces mesures qu'elle ressent une double peine. Toutes ces contraintes matérielles parfois difficiles à remplir, comme si son désir légitime avait besoin d'être aux normes.

Coup d'œil rapide autour d'elle. La plupart des participantes portent un bandeau qui leur ceint le front pour empêcher la sueur de couler, à moins que ce ne soit pour prévenir l'affaissement du cerveau.

Elle lui doit une réponse à la fois la plus vague et la plus précise possible, soit la position favorite des avocats, le grand écart qui consiste à concilier tout ce qui est incompatible. Attention, ma petite, l'instant est grave. Ce type frisé aux lunettes glissantes qu'il maintient d'un doigt par leur milieu va rendre un rapport d'où dépendra ta possibilité de «faire famille ou pas».

Il lui aura fallu attendre ses deux ans et dix mois pour connaître la joie d'avoir un jouet rien que pour elle. De même pour avoir le droit de dire maman à ce visage qui lui sourit et de se précipiter dans ces bras qui ne s'ouvrent qu'à son attention. Jusqu'à présent, elle a dû tout partager, voire même tout arracher pour qu'on ne lui reprenne pas immédiatement ce qu'à hauteur de vue devait lui revenir, des objets comme des carresses.
Elles ont pourtant fait de leur mieux ces femmes qui se sont occupées d'elle depuis sa naissance et son placement dans cet orphelinat, mais elles n'ont pu diviser en plusieurs dizaines ce peu qu'elles avaient à répartir. Or une mère ne divise pas ; une mère ça multiplie les gestes comme les baisers, les serments comme les promesses.
Incipit