"T'es pas beau l'humain", un poème de Esther Granek lu par Caalfein, pour la chaîne YouTube Grain2phonie.
♪ Bonne écoute de cette PoésiePhonie ♫
Évasion
Et je serai face à la mer
qui viendra baigner les galets.
Caresses d’eau, de vent et d’air.
Et de lumière. D’immensité.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera que ciel léger.
Et je serai face à la mer
qui viendra battre les rochers.
Giflant. Cinglant. Usant la pierre.
Frappant. S’infiltrant. Déchaînée.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera ciel tourmenté.
Et je serai face à la mer,
statue de chair et coeur de bois.
Et me ferai désert en moi.
Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …
Se faire une cuirasse
Je ne veux du bonheur
que plaisirs éphémères
et ces joies passagères
que l’on oublie sur l’heure.
Me suis fait une cuirasse
et me complais dedans.
J’y conjugue au présent.
Elle ne prend nulle trace
J’y conjugue au présent.
Et pourtant sans savoir,
que de choses d’antan
me font mal ! De toutes parts.
Me font mal et me blessent.
Mais je les tiens en laisse !
Et dans ma forteresse,
je ne cesse de m’armer !
Contre quoi ? Contre tout
dans ma cuirasse à trous
où s’installe comme chez soi
ce dont je ne veux pas !
J’ai attrapé un chant d’oiseau
Et je l’ai mis dans ma guitare.
Il en sort un refrain de paix
Qui fait trêve de mes regrets.
J’ai rapporté des verts coteaux
Un peu de leurs parfums sauvages.
J’ai rapporté couleurs de mai
Et les ai mises en un bouquet.
J’ai emporté dans mes voyages
Et ta présence et ton visage.
Et c’est comme un cadeau des cieux
Car étant seul je suis à deux.
( Portraits et chansons sans retouches, 1976 )
Éphémérides
Le temps d’un cri
C’est le temps qui commence
Le temps d’un rire
Et se passe l’enfance
Le temps d’aimer
Ce que dure l’été
Le temps d’après
Déjà time is money
Le temps trop plein
Et plus le temps de rien
Le temps d’automne
Il est là. Long d’une aune
Le temps en gris
Tout de regrets bâti
Le temps d’hiver
Faut le temps de s’y faire
Et trois p’tits tours
C’est le compte à rebours
(De la pensée aux mots, 1997)
La Lettre
Et mon temps devient fête
Et j’attends… et je guette…
Et entre deux facteurs
Je ronronne en mon coeur
Ecris-moi… ou je crève…
Et mon temps devient lent
Chaque jour est un an…
Et entre deux questions
Je m’instille un poison
Ecris-moi. Ou je crève…
Et mon temps devient laid
Triste, lourd et inquiet…
Et en dedans de moi
Je gueule à pleine voix
Ecris-moi ! ou je crève !
Et mon temps devient gris
Et je m’y perds d’ennui…
Et entre deux sanglots
Je supplie sans un mot
Ecris-moi…! ou je crève
Et mon temps devient fiel
S’y meurtrit mon appel
Et d’espoir en dépit
Bouche cousue je dis
Ecris-moi… (ou je crève…)
Et mon temps devient sec
Je ne suis qu’ongles, bec…
Et mon temps devient fou
Comme un rêve debout…
Et mon temps devient… rien
Et mon temps devient leurre…
Et entre deux facteurs…
Ecris-moi ou je crève…
Ecris-moi ou je crève…
Ecris-moi ou je crève…!
Offrande
Au creux d'un coquillage
Que vienne l'heure claire
Je cueillerai la mer
Et je te l'offrirai.
Y dansera le ciel
Que vienne l'heure belle.
Y dansera le ciel
Et un vol d'hirondelle
Et un bout de nuage
Confondant les images
En l'aurore nouvelle
Dans un reflet moiré
Dans un peu de marée
Dans un rien de mirage
Au fond d'un coquillage
Et te les offrirai.
******
Saisir l’instant
Saisir l’instant tel une fleur
Qu’on insère entre deux feuillets
Et rien n’existe avant après
Dans la suite infinie des heures.
Saisir l’instant.
Saisir l’instant. S’y réfugier.
Et s’en repaître. En rêver.
À cette épave s’accrocher.
Le mettre à l’éternel présent.
Saisir l’instant.
Saisir l’instant. Construire un monde.
Se répéter que lui seul compte
Et que le reste est complément.
S’en nourrir inlassablement.
Saisir l’instant.
Saisir l’instant tel un bouquet
Et de sa fraîcheur s’imprégner.
Et de ses couleurs se gaver.
Ah ! combien riche alors j’étais !
Saisir l’instant.
Saisir l’instant à peine né
Et le bercer comme un enfant.
A quel moment ai-je cessé ?
Pourquoi ne puis-je… ?
Saisir l’instant.
***
Vacances
Tiède est le vent
Chaud est le temps
Fraîche est ta peau
Doux, le moment
Blanc est le pain
Bleu est le ciel
Rouge est le vin
D’or est le miel
Odeurs de mer
Embruns, senteurs
Parfums de terre
D’algues, de fleurs
Gai est ton rire
Plaisant ton teint
Bons, les chemins
Pour nous conduire
Lumière sans voile
Jours à chanter
Millions d’étoiles
Nuits à danser
Légers, nos dires
Claires, nos voix
Lourd, le désir
Pesants, nos bras
Tiède est le vent
Chaud est le temps
Fraîche est ta peau
Doux, le moment
Doux le moment…
Doux le moment…
Toi
Toi c’est un mot
Toi c’est une voix
Toi c’est tes yeux et c’est ma joie
Toi c’est si beau
Toi c’est pour moi
Toi c’est bien là et je n’y crois
Toi c’est soleil
Toi c’est printemps
Toi c’est merveille de chaque instant
Toi c’est présent
Toi c’est bonheur
Toi c’est arc-en-ciel dans mon coeur
Toi c’est distant…
Toi c’est changeant…
Toi c’est rêvant et esquivant…
Toi c’est pensant…
Toi c’est taisant…
Toi c’est tristesse qui me prend…
Toi c’est fini.
Fini ? Pourquoi ?
Toi c’est le vide dans mes bras…
Toi c’est mon soleil qui s’en va…
Et moi, je reste, pleurant tout bas.
Résumons
Au premier tiers de votre vie,
vous qui vécûtes longuement
(mais au départ, tout est écrit),
durant ce tiers, ce premier temps,
vous étiez là. Bien apparent.
Évoluant dans le décor.
Accrochant l’oeil. Encore. Encore.
Au second tiers, au second temps
(mais tout se fit à pas feutrés),
devîntes-vous donc transparent ?…
Un peu gommé ?… Comme effacé ?…
Pourtant présent !… Curieux effet !
Presque ignoré dans le décor,
on vous oublie. Encore. Encore.
Au tiers dernier, chamboulement !
Vous revoilà très apparent !
Que grande est l’ironie du sort !
Aussi, qu’immenses sont vos torts !
Car vous entachez le décor
rien qu’en passant, en trottinant !…
Et l’on vous voit ! Encore ! Encore !