Se frotte avec un caillou
passe frotte écorche
Pas la peau pas les mains
mais les yeux
le comment des yeux
Sans repli
sans autre visage
Le regard ne se remplit pas
Voir pas trop
Voir ne parle pas
p.15
Sur la dune les enfants chantent
colchique sur un pied
le ciel le ciel
marelle sur un pied
Le vent pose ses lèvres
sur les doigts
tout pèse dans l’autre sens
Paul a laissé son ombre entre les ronces
p.14
« Je n’étais pas quand je suis né »
Anonyme
Paul vole
la pointe des pieds sur le qui-vive
les bras ouverts vole
En rond
tourne sans cesse en rond
Ne sait pas le corps si grand
se balance se balance mal
Les bras sait pas les retenir il tangue
tangue à reculons ralentit les doigts
La salive claque la langue
Bien sûr il peut rire
faire rire les choses
p.13
On l’a regardé raturer la peur
On l’a regardé raturer la peur
racler le sable qui chante
un requiem d’eau
peut-être que cela va le sauver
la rondeur d’un galet qu’il frottait
doucement durement
contre la joue
« tu es de sang toi aussi, les oiseaux »
Paul les Oiseaux ou la Place de l’Amour,
Antonin Artaud
Les dents serrées
l’ongle contre le pouce
placer la langue
ni au palais ni aux dents
mais à contre-langue
le bruit des ailes à l’intérieur
Juste ça le cœur sous la peau
dans la spirale des ronces
dormir là
où la parole se relève
pour que la beauté ne nous désespère
C’est pour le sable
C’est pour le sable que le doigt
s’obstine
On les a entendus les ressacs
les souffles meurtris
les plus longues attentes
le plus invisible déplacement
incapables de comprendre
ce qui épuise incise le monde
cet animal poésie
Alors c’est ça rien que ça
« cet animal poésie » qui lèche les os
ne dit jamais le silence
comme il faut
tellement la salive
tant de lignes d’eau
tant d’excréments
la vie est un bâton
d’aveugle sans nom
PARFOIS UNE DOUCEUR…
parfois une douceur arrête
l’éraflure d’une âme
que le vif aiguise à l’intérieur
touche léger
le battement d’une sève aigüe
les étincelles d’eau
tassées dans les yeux
la joie c’est après
BENI YENNI. KABILYE.1958.
extrait 1
ils ont encerclé le village
l’homme contre le mur.
la pierre arrête le temps
et le mur n’existe plus.
l’été ne sera pas
les bêtes tremblent.
entre les épaules et les mots fermés
entre ce monde et la poussière
personne ne creuse la terre commune.
personne n’est aussi mort que lui.
pas d’humidité dans le sel
rien.
le dernier craquement peut-être
avant que l’indifférence
ne déplace les lieux d’enfance.
les ombres ont souillé le village.
c’est décembre telle une branche
une main se redresse calcinée.
sans doute un dernier endroit
à « tenir ».
« à cause de tout cela Mula Mula * cherchait la pierre témoin.
les ombres se faufilaient. »
29 janvier 1958.
* Traquet à tête blanche.
BENI YENNI. KABILYE.1958.
extrait 3
la place est plus blanche que craie
on balaye les cendres.
midi d’abeilles
derrière les yeux.
on rêve de parler sans bruit
sans laisser d’empreinte
sans voir le mouvement d’aimer
ou ne plus aimer.
on regarde la chute d’un corps
comme une feuille séchée
dans un vieux cahier.
le silence la brûlure
le moindre geste tombent.
l’effacement ou presque
malgré tout ou presque.
le crave mort dans le fossé
renferme la mesure du temps.
Ali Salima Mokrane
quand le ciel est ainsi
les rêves meurent aussi d’un bleu très pur.
Malikra le crave aime les sommets.
« Juste avant de rejoindre la mer là un homme avec feutre
et souliers neufs comme un choucas, sans doute il voulait
ressembler à un rocher. »
29 janvier 1958