Citations de Enki Bilal (298)
Aujourd'hui, je ne peux plus parler de politique, au sens où j'en parlais avant avec Christin, sinon à constater que malheureusement nos élites issues du XXe siècle sont incompétentes à gérer le monde d'aujourd'hui.
Le pessimiste, c'est un optimiste qui a compris.
Est-ce que mes livres sont sombres ? Je ne crois pas. Ils sont sombres d'un point de vue visuel, parce qu'ils sont monochromes. Mais l'apocalypse n'est pas dans mes livres. La reconstruction, si.
-Hors-série Bande Dessinée Lire n°15-
Picasso, tourné vers sa toile, écarte les bras, l’air de dire : « Voilà, ça, c’est de moi, ma révolte contre l’association sombre Franco-Mussolini-Hitler. » Il savoure, pressentant qu’avec ces trois-là il couvrirait un bon siècle d’engagement d’artiste inattaquable et consensuel. Dora l’admire aussi pour ça, et moi je m’incline.
(pages 75-76)
La sensualité passe par l'éloge de l'imperfection. La perfection du grain de peau, c'est ennuyeux. C'est bon pour le papier glacé des magazines à retouche... Je trouve émouvant et sensuel un corps blessé ou imparfait, même si dans la plastique et les proportions, je suis plutôt exigeant.
- Alors ? Plus fortes que les hommes, les femmes ? Les premières études de nos comportements face à ce Bug semblent le montrer.
- Effectivement... et sans tomber dans des généralités faciles, on constate une capacité de résilience plus marquée chez les femmes, une lucidité plus aigüe aussi... l'éternel argument de la mise au monde d'enfants permet aux femmes d'éprouver la puissance de leur corps et de leur esprit, en puisant au plus profond de leurs ressources instinctuelles... ce qui fait défaut aux hommes actuellement. Ce sont des modèles d'identification positifs... L'épreuve du Bug les rend plus démunis, plus brouillons dans la résolution des problèmes ... les faillites des hommes d'état et leur remplacement par des femmes est assez significatif ...
Ce mec était tout en ismes, du gigantisme de notre mariage jusqu’à l’anticonformisme de sa mort…
Inconsciemment, je crois être du côté des femmes. Très tôt, j’ai pris conscience d’un décalage entre le rôle social et historique qu’elles avaient et la place ridicule qui leur était accordée dans la bande dessinée.
La globalité de la situation est devenue intellectuellement ingérable, comme si les mots, les concepts habituels de nos pensées s'étaient brutalement trouvés inopérants, obsolètes...
"La nuit, j'ai déjà remarqué, la couverture qui s'étale sur le paysage change la nature. Moins organique que dans la journée, elle donne l'impression de laisser passer un ai frais et énergique venus d'ailleurs. Je me remettrais presque à croire en Dieu entre le coucher et le lever du soleil."
- Au bout de trois jours, ils ont commencé à se réunir dans cette zone... Ils essaient de se parler, mais n'y parviennent pas... C'est très chargé ici...
- Je sens ça...
- ... Ils n'arrivent pas à se regarder les yeux dans les yeux. La plupart ,depuis l'âge de trois ans, ne côtoient que leurs écrans... Certains exposent leurs smartphones au moindre rayon de soleil, espérant un miracle... Ils sont totalement perdus... Dévitalisés...
J'ai dix-huit jours, et I remember les grosses mouches noires et l'air tiède de l'été qui s'engouffre par les trous béants de l'hôpital. À dix-huit jours, je peux reconnaître le souffle de l'air du souffle des bombes, et un tir de mortier d'un tir de T.34. À dix-huit jours, je sais que je suis orphelin et qu'on m'appelle Nike (prononcer Naïk). À ma gauche, dans le même lit, Amir, un jour de moins, dort, et à ma droite, Leyla, la cadette, dix jours à peine, braille. Eux aussi sont orphelins, mais ils ne le savent pas. Je suis l'aîné, et je jure sur les étoiles qui brillent au-dessus du plafond envolé de les protéger toujours. Je le jure.
Mon nez, donc. Là, il ne sent rien. Il inhale un air dont la neutralité fait peur. Comme le silence enfermé dans du silence, cet air fait de particules de néant n’est tout simplement pas.
Il me permet de respirer pourtant, je l’entends dans mes poumons, accomplissant son rôle.
(page 20)
L’actualité et l’Histoire qui travaillent les artistes et les secouent… Il faut mêler les événements, chercher leur sens dans la profondeur du temps. Une violence historique du dehors aurait provoqué une violence hystérique du dedans ? Picasso en est-il conscient ?
Je regarde la lourde porte plus refermée qu’une bouche cousue. Pas la peine d’essayer de l’ouvrir. Ça se voit de là où je suis, mon lit.
Finalement, être dans un dedans en ces temps troubles vaut mieux qu’être dans un dehors, je me dis.
"Seul. Je me sens enfin seul. Je n'ose pas dire libre... Mais je décide en tout cas, seul, de mes premiers pas pour la première fois depuis bien longtemps."
…Tous les disques durs sont vides…plus aucune donnée nulle part…plus d’archives, plus de codes, plus rien, un assèchement total…
L’ampleur et la simultanéité du crash dépassent l’entendement, nous sommes à l’arrêt.
- Bug temporaire … ça va sûrement revenir …
- … Je ne crois pas. Nous sommes bel et bien vidés de toutes nos substances informatiques… du plus gros serveur à la plus petite clé usb… l’humanité est dans la merde, et on imagine mal à quel point… Mes amis, j’ai un mauvais préssentiment.
"- A propos, Monsieur Hatzfeld, savez-vous couper les cheveux ? J'ai décidé de changer de look.
- En quatre ou tout court, les cheveux ?
- Tout court.
- Alors non."
" - Vous tombez mal... Je suis en train de perdre mon père..
- Désolé... gravement malade ?
- Non, gravement heureux."
La trilogie Nikopol est une trilogie à la fois libre et liée, qui m'a occupé l'esprit à intervalles réguliers pendant près de quinze ans...
À quoi cela a-t-il bien pu servir sinon à me fabriquer des liens librement consentis, suffisamment distendus et confortables, pour me permettre de bouger ailleurs ?
Extrait de la préface de Nikopol