Je regarde ce judas noir. Il est parfaitement noir, d'une perfection sans cœur. Je ne réussirai pas à ranimer ce qui est mort ; à faire naître, d'un coup de baguette, un monde du néant. Mon pouvoir va s'affaiblir. Je ne pourrai pas voler. Je resterai sur la terre ; je resterai par terre.
Pourras-tu franchir les grilles en fer ? Faire s'écrouler les murs ? Briser les portes chaque fois que tu verras devant toi une porte verrouillée ? Où trouveras-tu la force ?
Et un grand abattement m'envahit. Mon front ruisselle de sueur. Je colle mon visage contre la porte en fer. Ne me quitte pas, raison ! J'ai peur. Peur de m'abandonner à ma fureur naturelle.
Un œil a dû me voir du dehors. Œil du gardien. Œil noir de traître qui me regarde. Fourbe judas. Je me détourne et commence une déambulation monotone. Six pas aller, six pas retour, encore et toujours. (p. 46-47)
A la sortie, le cortège est ordonné. Des prisonniers traversent la cour. Nous devons attendre qu'ils soient entrés dans l'église ; car nous les femmes n'avons pas le droit de croiser des hommes. Un jour nous sommes entrées en collision avec une colonne de prisonniers, et j'ai vu tout à coup l'effarement et la consternation sur le visage d'une surveillante. Elle était horrifiée à en perdre la tête, et j'ai pensé à part moi : ce doit être très dangereux, des hommes et des femmes qui se retrouvent nez à nez en prison. (pages 124-125)