Rencontre avec Emanuel Dadoun autour de son ouvrage "La machine" aux Éditions la Manufacture de livres.
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Une bourrasque de vent le titilla encore pour qu'il fasse le grand saut , se croire nuage parmi les nuages, prêt à féconder la pluie et les averses .
J’imagine que tu dois être en train de courir, Kowalski. Nous passons notre temps à courir, tu devrais le savoir. Courir après nos rêves, le temps, courir pour ne pas s’arrêter et contempler notre propre laideur. Peut-être que c’est pour ça que nous courons. La peur est immobile, Kowalski. Immobile. Elle est le miroir de notre laideur.
Flash. Une salle de bains. Des animaux empaillés sur un mur. Un visage, celui d'un homme qui essaye de se protéger. L'effroi minéral dans ses yeux. Piquier se voit, et il tient une hache. Du sang. Il s'acharne sur le cou de l'inconnu. Il se voit, et il porte des gants pour faire la vaisselle. Mais il ne fait pas la vaisselle.
Quand il avait coupé le doigt de sa victime, elle était morte depuis longtemps. Elle était morte dans la matinée en jetant un dernier regard plein de reflets apeurés en direction du plafond de l'hôtel. Elle l'avait supplié, pourtant. C'était la faute à Rennes, à Brest, c'était la faute à toutes les villes qu'il avait traversées. Bientôt il aurait une belle collection de doigts ; il disposa devant lui les deux qu'il possédait déjà comme des crayons de couleur, des stylos un peu mous, de gros fusains de métacarpes. Il allait être forcé de dessiner, encore et encore. Mots sanguinolents peints sur les murs. Il avisa un auriculaire au tendon sectionné. Ongle noirci.
La caisse exhiba des lingots d'or, des dizaines de lingots d'or qui étincelèrent comme la dentition d'une énorme bouche. Le trésor électrifia les soldats, fit briller leurs yeux d'une avidité malsaine : on le sait, l'argent défigure l'humanité. Face au trésor, ils devinrent des loups, animaux des solitudes plongés dans la nuit des temps.
Les hommes brandirent donc leurs armes tous en même temps et se menacèrent les uns les autres en diagonales dangereuses, recroquevillés tels des cafards dans une cachette de ragondin. Tout ça parce qu'ils avaient vu dans l'or la démesure d'une liberté.
P 191
Même s'il ne se rappelait plus grand chose concernant ce qu'il était avant, Piquier employait à la lettre une procédure relativement stable de pensée. Une pensée qui n'était plus la sienne, à proprement parler, mais une pensée quand même, une manière d'apposer des schèmes et des concepts, de plaquer sur le monde une grille centrifuge de jugements avant toute conclusion hâtive, un pointilleux manège de moralité – si tant est que le bien et le mal puissent tournoyer ensemble.
-Je vois que vous avez étudié le dossier, inspecteur.
-Vous croyez que je me tourne les pouces depuis le début du roman?
-Quel roman?
-Rien. Continuez.
On peine souvent à décrire un fleuve ou une rivière quand ils sont plongés dans la nuit, à peindre la pluie quand elle tombe dans l'obscurité, à exprimer l'océan quand il s'éteint à l'horizon dans l'encre du soir. Ce qui fait la difficulté et rend la tâche ardue, c'est qu'on se retrouve confronté au mariage de deux invisibilités : celle de l'eau et celle de la nuit. Ainsi, comment évoquer les remous des courants et ceux des marées quand ils sont ensevelis dans le noir, la douce caresse des vagues qui reprennent les vagues précédentes tel un métier à tisser, alors que tout est éteint, que la lumière s'est échappée avec les fantômes du crépuscule ? Comment parler de la transparence du verre à travers celle de l'eau, du drapeau noir des pirates dans la nuit ? De quelle manière formuler ce qu'on ne voit pas et qui est là pourtant, devant nos yeux ?
P143
Les cadavres flottaient sur la rivière, portés par des courants capricieux qui les faisaient vriller comme des bobines de laine. On aurait dit de la volaille embrochée. Les remous exhibaient des ventres gonflés d'eau, des dos lacérés, des visages de cire fixant le ciel d'un œil moite, des cheveux qui se prenaient pour des mottes de terre.
(Incipit)