Les plus petits esprits ont les plus gros préjugés. Celle ci est de Victor Hugo , un écrivain français.
Pas de doutes, Carter vit seul. Je ne connais aucune femme qui supporterait un bordel pareil. Je peux me tromper, mais certains signes me confortent dans ma déduction. Les chaussettes puantes qui traînent au pied du lit par exemple ou encore les revues pornos sur la table de chevet dans la chambre principale. Deux autres sont totalement vides, une quatrième a été convertie en bureau, du moins je pense que c’était ce qui était prévu au départ. Là, comment dire… c’est plus un merdier sans nom, avec un ordinateur au milieu.
Je me parle tout seul et essaye de me convaincre moi-même que j'ai eu raison. La vérité, c'est que je n'en sais foutre rien. Pourquoi certains ont tout pour être heureux depuis le premier jour de leur existence alors que d'autres doivent se battre et travailler toute leur chienne de vie juste pour bouffer ? Pourquoi je me suis retrouvé orphelin à même pas dix piges [...] Pourquoi, hein ? Putain de merde ! Plein le cul de tout ça ! Je suis défoncé et je chiale comme un gosse de cinq ans. Là, maintenant, j'ai juste envie de me foutre mon flingue dans la bouche et de me faire exploser la gueule. Avec un peu de chance, Mamie Betty avait raison et il y a un monde meilleur ailleurs. Bordel, je raconte vraiment n'importe quoi. J'ai la gorge sèche, sûrement à cause de la weed.
Quelques flashs de la veille affluent, mais il me manque une partie de l’histoire. Un bar, une balade en voiture, du sang et puis c’est le trou noir. Ma seule certitude est que, cette nuit, j’ai débarrassé le monde d’une ordure. J’éprouve un sentiment de devoir accompli. Je risque de finir mes jours en prison pour ce coup de folie, peut-être même dans le couloir de la mort, mais très franchement, je n’en ai plus rien à foutre. Laisser exploser cette rage qui sommeillait en moi m’a procuré un bien fou. Si c’était à refaire, je recommencerais.
- OK... Je suis né à Detroit. Avec mes parents, on habitait sur Packard Street. On n'avait pas beaucoup d'argent, mais on s'en sortait. Mon père travaillait dans le bâtiment. Il était maçon. Je ne me souviens plus beaucoup de lui. Il n'était pas souvent à la maison. Il bossait toute la semaine et le w week-end, il bossait encore, mais au black. Je me rappelle juste que c'est lui qui m'a offert mon premier ballon de basket. II était fan des Pistons. Il a été tué quand j'avais sept ans par un mec qui voulait lui piquer sa bagnole. Il n'a pas voulu se laisser faire et s'est pris une balle. Après sa mort, nous sommes allés vivre chez ma grand-mère maternelle sur House Street. Ma mère était caissière dans un supermarché et ne gagnait pas assez pour continuer à payer le loyer. En 91, on a appris qu'elle avait un cancer et qu'elle était condamnée. C'est à peu près à la même époque que mon frangin a commencé à devenir ingérable. Ma grand-mère n'avait aucune autorité sur lui et lorsque ma mère nous a quittés, Marlon n'a pas tardé à rejoindre les Bloods. La suite, tu la connais. L'assassinat de Mamie Betty, la famille d'accueil...
- Oui, c'est d'ailleurs à peu près tout ce que tu as bien voulu me raconter sur toi.
- Il n'y a pas grand-chose à dire de plus. Tu veux que je te dise quoi ? Que j'ai eu une enfance malheureuse et que c'est injuste ? Tu veux t'apitoyer sur mon sort ? C'est Detroit, ici. C'est la merde pour tout le monde. Ça ne sert à rien de pleurnicher.
La ponctualité a toujours été l’une de ses qualités. Je l’accueille et lui propose un café. Il accepte. « Il est un peu trop tôt pour la bière et il ne faudrait pas rallumer la chaudière »,me dit-il. Apparemment, son réveil a été aussi compliqué que le mien. John porte son sempiternel blouson en cuir estampilléHarley-Davidson, un jean et des boots. Pas vraiment le look de l’informaticien classique. Depuis ses vingt ans, je ne l’ai que très rarement vu habillé autrement. Nous nous installons à ma petite table de cuisine et fumons une clope en buvant notre café. Mon studio est de nouveau enfumé, malgré la fenêtre ouverte, le nuage flottant dans la pièce peine à s’évacuer. La conversation ne commence que lorsque nous avons fini.
Les gens ne se rendent pas compte de toutes les informations qu’ils divulguent sur ce genre de réseaux. Je peux quasiment reconstituer l’emploi du temps de Miguel pour la journée d’hier. Je vois surtout que cette nuit, il est allé dans un club de strip-tease avec ses potes et qu’ils devaient tous être déchirés. Je commence à douter des infos de Brian, Miguel est un gamin. Il a vingt-deux ans et poste régulièrement des photos de lui et sa clique en train de faire les cons. Si ce gars-là faisait partie de l’équipe qui a tué ma famille, il avait tout juste dix-sept ans. Je crois savoir désormais pourquoi les ADN collectés chez moi ne donnaient pas de correspondance dans les fichiers des flics.
Il était un coureur de jupons, je suppose qu’il l’est encore aujourd’hui, mais il y a une femme qui avait réussi à le dompter. Elle se prénommait Jessica et mon pote en était fou. Leur histoire avait duré trois ans. OK, trois ans, ce n’est pas tant que ça. Mais pour John, c’était la première relation sérieuse. Lorsqu’elle était partie un matin, alors qu’il était au boulot, en laissant simplement sur la table, un mot disant « c’est fini », il avait connu la pire désillusion de sa vie. Et j’étais là pour lui. Ou plutôt, « nous » étions là pour lui. Avec Lindsay, nous avions fait tout ce que nous pouvions pour l’aider et lui remonter le moral.
Les rares disputes entre nous n’étaient jamais bien graves et se terminaient toujours par une réconciliation rapide. Bien souvent, parce que je cédais et ralliais son point de vue. Je détestais ces petits conflits stupides, aussi, faire des concessions était le moyen le plus simple pour que ça se termine vite. Je faisais au mieux pour pallier ses besoins et ses envies. Nous serions partis vivre à l’autre bout du monde si elle me l’avait demandé. J’aurais fait six heures de trek, moi qui déteste la marche, si elle l’avait voulu… Je l’avais dans la peau, c’est aussi simple que ça.
Nous n’avons jamais été du genre à chercher les ennuis, ils venaient à nous tout seuls. Et John savait toujours comment régler les problèmes, que ce soit avec les poings ou avec son cerveau.
J’ai souvent pensé que dans notre binôme, c’était moi le meneur. Je me rends compte à présent que je me trompais, aucun de nous ne pouvait avancer sans l’autre. Il me prouve, une nouvelle fois, que je peux compter sur lui. Malgré les cinq années écoulées, durant lesquelles je ne lui ai pas donné signe de vie, il aura suffi que je lui passe un coup de fil pour qu’il vienne à ma rescousse.