"La connerie militaire et l'immensité des flots sont les deux seules choses qui puissent donner une idée de l'infini."
On naît et on crève, et au milieu on s'échine à perdre notre temps en faisant semblant de le gagner...
- Qu'est-ce qu'il fait votre ami ? demanda Adamsberg.
- Son premier métier est d'irriter le monde mais ce n'est pas payé. Il exerce cette activité bénévolement.
- Tu l'aimes ? demanda le Veilleux.
- Tu m'emmerdes avec ta question.
- ça prouve que c'est une bonne question.
- Je n'ai pas dit qu'elle était mauvaise.
- Je m'en fous, j'ai toute la nuit. J'ai pas sommeil.
- Quand on pose une question, dit Adamsberg, c'est qu'on a déjà la réponse. Sinon, on la boucle.
- C'est vrai, dit le Veilleux,. J'ai déjà la réponse.
- Tu vois.
- Pourquoi tu la laisses aux autres ?
Adamsberg resta silencieux.
- Je m'en fous, dit le Veileux. J'ai pas sommeil.
- Merde, le Veilleux. Elle n'est pas à moi. Personne n'est à personne.
- Finasse pas avec ta morale. Pourquoi tu la laisses aux autres ?
- Demande au vent pourquoi il ne reste pas sur l'arbre.
- Qui est le vent. Toi ? Ou elle ?
Adamsberg sourit.
- On se relaie.
- Ce n'est pas si mal, mon gars.
- Mais le vent s'en va, dit Adamsberg.
- Et le vent revient, dit le Veilleux.
- C'est ça, le problème. Le vent revient toujours.
- Tu sais Camille, que le jour où Dieu créa Adamsberg, Il avait passé une fort mauvaise nuit.
- Ah non, dit Camille en levant les yeux, je ne savais pas.
- Si. Et non seulement Il avait mal dormi, mais Il se trouvait à court de matériel. Si bien que, comme un étourdi, Il alla frappé chez son Collègue pour lui emprunter quelque attirail.
- Tu veux dire ... le Collègue d'en-bas ?
- Evidemment. Ce dernier se jeta sur l'aubaine et s'empressa de lui procurer des fournitures. Et Dieu, hébété par sa nuit blanche, mélangea le tout inconsidérement. De cette pâte, Il tira Adamsberg. Ce fut vraiment un jour pas ordinaire.
- Je n'étais pas au courant.
- Ca traîne dans tous les bons livres, dit Danglard en souriant.
Je rentre dans le droit chemin qui, comme tu le sais, n'existe pas et qui par ailleurs n'est pas droit.
p.76
"Ici, c'est comme partout, il y a beaucoup de têtes creuses qui ont vite fait de se remplir de n'importe quoi, si possible du pire. C'est ce que tout le monde préfère, le pire. On s'ennuie tellement.
Fred Vargas est scientifique et romancière. Dans cette lettre - lue ce matin sur France Inter par Augustin Trapenard - adressée à tous, elle espère que cette crise mondiale aura permis de nous ouvrir les yeux.
Paris, le 19 mai 2020
Chers tous,
La crise du coronavirus a déjà fait en France des milliers de morts et de deuils et il est à craindre que ce si douloureux chemin ne soit pas achevé. La gravité de ce drame a aussi provoqué un effet rebond inédit, aussi inattendu que clairvoyant. Il ne s’agit pas d’un simple contrecoup éphémère que quelques mois effaceront des esprits, mais bien d’une prise de conscience profonde, si nouvelle et si perspicace qu’en effet, quand cette épidémie aura enfin passé, la volonté d’un autre monde, d’une large refonte, se dressera face à ce qu’on qualifie déjà de « monde d’avant ».
« Avant », et en dépit de la menace gravissime qu’est le changement climatique, dont les Français sont au plus mal informés, nous allions les mains dans les poches et nez au vent, portés par le flot de notre société d’abondance, pénétrés d’un sentiment d’invulnérabilité. En Europe, les drames sanitaires, les disettes, les eaux non potables, tout cela appartenait aux hommes des anciens temps et ne pouvait en aucun cas nous atteindre. Quand soudain, le coronavirus vint asséner un formidable coup de hache à nos croyances sereines. Brusquement, nous nous sommes retrouvés hébétés, car totalement démunis, sans masques, sans gants, sans désinfectants, y compris pour les soignants tant exposés et trop peu nombreux. Nos entreprises ayant remis leurs productions entre les mains de la Chine, pour l’éternelle raison du profit, nous fûmes dans l’incapacité de faire face à l’épidémie. En un tournemain, les Français comprirent à quel point nous étions dépendants, subordonnés aux importations, et ont exprimé leur exigence d’une autonomie sanitaire du pays. Et étonnamment, cette prise de conscience a débordé hors de cette seule préoccupation. De notre indigence en matière de santé à notre déficience dans le domaine alimentaire, assujetti lui aussi aux importations, il n’y avait qu’un pas à franchir. Et il le fut. La demande d’une autonomie alimentaire du pays figure désormais au rang des priorités nouvelles.
Nous assistons bel et bien à l’effondrement de notre aveuglement, à la fin de ces certitudes confortables qui régnaient il y a quatre mois encore. A très juste titre : quand viendra le temps, proche, du déclin géologique du pétrole, puis la contraction de plus en plus prononcée des transports aériens, quand s’amenuiseront les possibilités d’importer à notre guise, alors nous serons nus : incapables de nous nourrir et de nous vêtir par nous-mêmes, incapables de fabriquer des médicaments, sans parler de quantité d’autres biens de première nécessité. A moins d’anticiper, et vite, et de nous restructurer en profondeur, qu’il s’agisse des entreprises comme des territoires agricoles. Voilà ce que le coronavirus, en marge de son affligeant cortège, a fait éclore en quelques semaines : une clairvoyance. Reste à espérer qu’elle se propagera aux autres domaines essentiels à la vie, eaux polluées, sols dégradés, sécheresses, forêts fragilisées, océans acides, tant menacés par le réchauffement climatique.
Fred Vargas
Vous allez faire quelques découvertes qui vont vous étonner, brigadier Favre. Ici, les femmes ne sont pas un rond avec un trou dedans, et si cette nouvelle vous épate, ne vous gênez pas pour tâcher d’en savoir plus. En-dessous, vous trouvez des jambes, des pieds, et au-dessus, vous rencontrez un buste, une tête. Tâchez d’y songer, Favre, si vous avez de quoi.