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Citations de Daniel Crozes (133)


À cinquante-deux ans, elle en paraissait douze à quinze de plus. La peau tannée par le soleil mais flasque, le front plissé de ridules, les joues creuses, des veines saillantes sur les tempes, elle produisait l'impression avec sa sévérité et sa tristesse que tous les malheurs du monde l'écrasaient alors qu'une énergie surprenante, une générosité appréciée, une volonté farouche l'animaient.
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Augustin se joignit à nous, trop heureux de pouvoir se dégourdir les jambes après leur périple en voiture de la journée. En chemin, il m'interrogea sur Kléber, ma famille, le collège, mes projets d'avenir et mes passions. Même s'il enseignait dans un grand lycée, il ne chercha pas à manifester un quelconque mépris pour l'adolescent et l'élève moyen que j'étais. J'appréciai cette simplicité à tel point que je n'hésitai pas, tout en poussant les vaches au retour, à le solliciter pour qu'il m'éclaire sur la guerre de 1939-1940, Pétain, le gouvernement de Vichy, la politique de collaboration, la Milice, les maquis et les stalags. Un professeur d'histoire comme Augustin pourrait d'autant plus répondre à mes multiples questions qu'il avait combattu en 1939-1940, séjourné derrière les barbelés des camps et participé activement à la Résistance comme il l'avait précisé à Kléber dans la réponse à son invitation de camper quelques jours aux Vernhes. Ma demande ne manqua pas de l'intriguer. Montrer autant d'intérêt pour ces années noires était inhabituel chez un gamin de quinze ans. Il comprit mieux ma motivation en constatant que mon insatiable curiosité buttait contre le mutisme de mon père, l'intransigeance de Marie, la trop grande discrétion de Raymond et de Kléber. Il ne s'était pas comporté de cette manière avec ses deux garçons : il leur avait raconté sa propre guerre avec ses souffrances et ses moments d'euphorie, les horreurs qu'il avait approchées et la flamme qui l'avait animé dans la Résistance. Une matinée ou deux ne suffiraient pas mais il m'accorderait du temps. La manière dont il s'exprima sur la mémoire et l'Histoire me laissa penser qu'il ressentait la nécessité d'informer sur cette période peu glorieuse et de témoigner pour les générations de l'après-guerre. À l'inverse de mon père et de tant d'autres, Augustin voulait que l'on sache et que l'on n'oublie pas. Je mesurai soudain le privilège de l'avoir rencontré dans ce bout-du-monde où j'avais l'impression de vivre en marge du siècle.
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Extrait du "rebouteux des montagnes" de Daniel Crozes
Tout avait commencé à Saint-Laurent-de-Muret alors qu’il n’avait pas encore vingt ans et qu’il était cantalès d’hiver. Des habitants de la bourgade puis de la commune, constatant qu’il avait le « biaïs » pour remettre sur pied facilement les animaux, l’avaient convaincu qu’il pourrait procéder de la même manière sur les hommes et avec sûrement la même réussite. Il avait de la puissance, de la patience, de l’habileté, de la douceur, qualités requises pour un rebouteux. Saint-Laurent-de-Muret ne comptait aucun médecin. Les blessés et les malades n’avaient pas d’autre choix que de prévenir le médecin de Nasbinals, localité distante de dix-huit kilomètres, alors que son confrère de Marvejols qui était plus proche puisqu’une douzaine de kilomètres seulement séparaient Saint-Laurent-de-Muret et la sous-préfecture lozérienne. Les deux praticiens acceptaient rarement de s’y déplacer avec leur voiture à cheval, surtout entre la Toussaint et Pâques. Encerclés de sommets dépassant une altitude de 1200 et parfois même 1300 mètres, le chef-lieu et ses fermes ressentaient l’isolement pendant la période hivernale. Ils étaient bloqués par des tempêtes et des congères pendant des semaines. Les hommes se blessaient parfois dans les étables en s’occupant de leurs animaux, ou dans les granges en s’affairant autour des meules de fourrage, souffrant alors d’une simple entorse, d’une foulure, d’une luxation ou d’une fracture. Les accidents étaient ensuite nombreux dès que les éleveurs s’activaient à l’extérieur pour le domptage des bœufs, l’abattage des arbres qui étaient débités en billots pour le chauffage ou la réparation des murettes de clôture en pierres sèches dans les Devèzes et les champs. Pierrounet n’avait pas l’habitude de refuser un service. Malgré son manque d’expérience, il avait considéré que « rhabiller » une femme, un homme, un enfant ou un vieillard n’était peut-être pas au-dessus de ses forces. Sans promettre de résultats probants pour qu’il n’y ait pas d’amère déception, il s’y était essayé et il avait souvent réussi. Il n’avait jamais prétendu être médecin ou chirurgien ni les remplacer.
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Mon père avait accompli des activités physiques aussi difficiles puisqu'il avait travaillé à l'entretien de la voirie dans un kommando, près de Sarrebruck. Creuser des fossés à la pioche et à la pelle, casser de la pierre à la masse, charrier des matériaux et combler les ornières des chemins était sûrement son quotidien... Je m'étais déjà imaginé ce qu'il avait supporté pendant ses années de captivité : des journées éreintantes, des brimades, des insultes, des coups de crosse lorsque la besogne n'était pas effectuée d'une manière correcte ou pas assez rapidement, et la cravache... De l'allemand, il n'avait retenu qu'un vocabulaire bien squelettique. Il résonnait à mes oreilles comme les claquements de bottes des soldats du Reich dans les parades. Ces quelques mots, je les avais entendus ce printemps dans un documentaire consacré à l'occupation de la capitale : Achtung (attention), Schnell (vite), Schlague (fouet, cravache), Nein (non), Terroristen (terroristes).
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Dès le lendemain, il m'entraîna de bonne heure jusqu'à la prairie de la Font pour pouvoir profiter de la fraîcheur du matin en bordure du ruisseau. Il avait emmené ses deux faux et sa pierre à aiguiser. Les bras encombrés de deux fourches ainsi que de la musette pour le casse-croûte, je conduisis les quatre vaches dans leur pâturage avant de le rejoindre. Les herbes hautes aux grappes de graines bien gonflées étaient lourdes de rosée. Elles tombèrent facilement sous le tranchant dès que Kléber accomplit ses premiers mouvements pour dégager un passage. La première demi-heure, je le regardai travailler : il progressait d'un pas assuré en parallèle au chemin, les muscles bandés, une certaine raideur dans la cadence, les reins ceinturés par une étoffe de flanelle qu'il avait enroulée sur plusieurs épaisseurs pour se protéger d'un coup de froid, la lame à ras de terre sans jamais l'effleurer. Il avait endossé une chemise en coton d'autrefois, dont il avait retroussé les manches au-dessus du coude pour être à l'aise dans ses gestes. Je comptais attendre qu'il ait effectué quatre ou cinq rangs avant de démêler à la fourche les andains d'herbe fraîche pour ne pas le gêner. Heureux, il chantait comme les équipes de faucheurs d'avant 14. Le talon était fourni mais il ne semblait pas peiner pour le couper.
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Les burons accueillaient le personnel qui s'occupait des troupeaux et fabriquait le fromage de Laguiole-Aubrac, l'une des richesses de l'Aubrac avec les boeufs dressés et les bourrets de l'année. On les distinguait en bordure d'un chemin, dans une combe abritée. Leurs toitures de lauses, disposées en écailles de poisson et ruisselantes après les averses de la veille, scintillaient sous les rayons du soleil qui s'élevait peu à peu de l'horizon.
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On ne transigeait pas avec l'honneur, sur l'Aubrac.
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On a volontiers affirmé que les hommes de Montagne ou du haut pays sont soucieux de leurs intérêts, âpres au gain, parfois roublards. Leur rapport à l'argent s'appuie sur une maxime à la logique irréfutable : "Le premier que l'on possède est l'argent que l'on ne dépense pas". (p 24)
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« Lorsqu’on est loufiat, précisait-il, deux et deux peuvent faire cinq mais jamais quatre ! »
« Pour nous refaire, nous volions les clients et le patron ! » nous avait-il affirmé sans scrupule et sans regret. Ce que résumait à sa manière Jean Blanchet qui avait exercé également le métier entre 1922 et 1930. - 207
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Un orage avait éclaté la veille, dans l'après-midi, entraînant aussitôt une dégringolade des températures sur ce plateau de l'Aubrac dont l'altitude s'étageait entre 1 000 et 1 400 mètres. Le ciel s'était dégagé dans la soirée lorsque les derniers nuages couleur d'encre s'étaient éloignés en direction de la Margeride.
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je ne contestais point la singularité et le charme des Landes que j’avais découverts grâce à notre professeur de français dans un roman de François Mauriac, Le Mystère Frontenac, que nous avions analysé en classe, mais je préférais "ma" vallée.
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Cordonnier porte groules.

Les groules désignent des chaussures usagées ou trop abî-
mées pour être réparées qui échouent dans une poubelle. On
affirme que les cordonniers sont les plus mal chaussés car ils
traînassent à s'occuper des chaussures de leur famille er de
leur entourage.

p.126
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Il est tellement astucieux qu'il serait bien capable de rendre les yeux à un chat.

Un homme très ingénieux – même s'il n'est pas ingénieur ! –
est capable de déployer des trésors d'imagination et de dexté-
rité pour accomplir de véritables prouesses. Variante : il est si
astucieux qu'il serait capable de passer dans un trou d'aiguille.

p.74-75
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En chemin, je songeai à l'agriculture telle que l'avaient pratiquée mes grands-parents, que j'avais découverte grâce à mon estivage aux Vernhes. Elle disparaissait sous les assauts d'une révolution qualifiée de silencieuses mais efficace, modernisant les campagnes avec des machines et des races sélectionnées. Ce monde que j'avais adopté le temps d'un été était à l'agonie.
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Lentement, la Révolution accomplissait son œuvre. Isolés dans leurs masures à cent cinquante ou deux cents lieues de Paris où se prenaient les décrets, les paysans du Gourg en étaient-ils conscients ? Peut-être pas. Ils attendaient impatiemment le démembrement des propriétés de l'Eglise, la vente des biens des émigrés, la distribution des terres, l'abolition définitive et sans rachat des droits seigneuriaux et, surtout, des jours meilleurs.
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Avant de reprendre le chemin du Pas, elle éprouva le besoin de flâner le long de la Sorgues, de s'asseoir au pied d'un saule et de respirer les odeurs fortes de la rivière aux eaux troublées par l'averse, mêlant les senteurs du sureau et du buis. Peu à peu, l'étreinte qui comprimait sa poitrine se desserra. Le calme revint sur son visage. Lorsqu'une brise légère caressa ses joues, elle s'étira, ramena ses genoux sous le menton, se laissa envahir par le bien-être et s'endormit.
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Avec la Révolution, la France est entrée dans une ère nouvelle. Pour faciliter les échanges économiques entre l'ensemble de ses départements, elle se doit d'instituer un système unique de poids et mesures. J'ai suffisamment séjourné dans les provinces de France pour constater que la multiplicité et la complexité des mesures constituent une entrave sérieuse au progrès. Est-il logique, Delphine, que la longueur de la canne de toile soit différente à Sauveterre et à Rodez ?
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Fidélité aux ancêtres, à leur terre, à l'Aveyron qu'ils portent accroché à leur coeur où qu'ils soient. Pour eux, c'est le plus beau pays du monde.
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Car l'aubrac, la belle aux yeux noirs, peuple les plateaux basaltiques depuis des siècles. La robe froment, les cornes hautes et fines en forme de lyre, elle y règne sans partage.
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C'était l'hiver austral. La journée avait été sombre et fraîche. Le pampera qui soufflait depuis les plaines argentines et que rien n'arrêtait en chemin, s'engouffrait dans les rues en soulevant la poussière et les feuilles mortes. Il dissuadait les passants de s'attarder devant les magasins. Mathieu Berthier s'empressait de rejoindre son épouse dans la coquette résidence qu'ils occupaient dans l'un des plus beaux quartiers de Montevideo. Leur villa était assez spacieuse pour recevoir une famille nombreuse et son personnel. Eugène Lalande, importateur de peaux à Mazamet dans le sud de la France, avait tenu à loger grandement le directeur adjoint de son comptoir d'achats et son épouse, Sophie, même s'ils étaient jeunes mariés et n'avaient pas encore d'enfants. La maison, entourée d'eucalyptus à l'ombre épaisse, était agrémentée d'une terrasse où ils passaient les chaudes soirées d'été. Richement meublée et très confortable, cette demeure constituait une compensation appréciable aux difficiles conditions de travail que Mathieu avait acceptées trois ans plus tôt. Son patron l'avait chargé d'acheter les meilleures peaux dans les abattoirs de la ville et de les expédier à Mazamet par centaines de ballots. Il y consacrait des journées entières dans une puanteur de carnasse et de saumure au milieu d'ouvriers qui manipulaient les dépouilles de boeufs, de chevaux, de vaches et de brebis. Le jeune ingénieur en tannerie avait toujours l'impression de baigner dans la charogne même après une toilette soigneuse. Sophie s'y était habituée, mais elle ne manquait jamais de préparer un bain chaud les jours où il revenait des abattoirs et de récurer elle-même son corps centimètre par centimètre à la manière des femmes de mineur. Lorsqu'elle avait terminé, elle s'exclamait alors :
- Maintenant, tu es présentable !
Puis elle l'embrassait tendrement avant qu'ils ne s'installent dans le salon pour y déguster du maté ou du porto.
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