Depuis trois jours, les palmes des cocotiers tournoient dans les bourrasques et la pluie est violente et drue. Entre les murets du jardin, c'est comme un fleuve qui court à la mer, violette et écumeuse. Au loin, d’énormes rouleaux franchissent la barrière de corail.
Le jardin est impraticable. Sous le flamboyant, un épais tapis de fleurs étale sa flaque de sang. Collé à sa mère, l’ânon tremble sous les éclairs : le gros chien noir, excité par l’orage, lui a mordu sauvagement la croupe. Je fais ce que je peux pour éviter que les mouches ne s’y mettent, mais cela ne guérit pas. Ici, rien ne guérit...
Bleu, Casa Amerilla
Perchée à plus de cent mètres de haut, la villa Les Cormorans était posée sur une grande dalle circulaire, arrimée à la falaise par un pilier de béton qui s’enfonçait à trente mètres de profondeur. Le vent s’y engouffrait dans un formidable hululement, et le ressac portait par en dessous ses coups de boutoir qui faisaient vibrer la villa comme un tremblement de terre programmé toutes les vingt secondes.
Installées dans la véranda, Gertrude et la baronne avaient posé leur livre : le spectacle était grandiose. Les déferlantes cognaient les falaises en formant un mur d’eau sans cesse reconstruit, et lançaient des paquets de mer sur les baies vitrées. Tout en bas, sur la plage, des vagues immenses mordaient la digue, et déployaient leurs langues d’écume jusqu’à l’entrée de la valleuse.
Les deux femmes observaient la plage, où une scène insolite retenait leur attention. Un grand chien noir folâtrait dans les paquets de mousse charriés par le vent, et disparut soudain. Surgit alors un homme jeune, dégingandé, avec une casquette et un blouson rouge gonflé par les rafales. Il se pencha sur la digue où le chien tentait de se hisser, mais ils furent cueillis par un rouleau qui, tel la paume d’une main, les fit voler tous deux vers le large.