Une belle soirée de partage autour des coups de coeur de nos libraires !
Ci-dessous les romans présentés :
- La nuit des pères, Gaëlle Josse, Notablia
- Les enfants endormis, Anthony Passeron, Globe
- Chien 51, Laurent Gaudé, Actes Sud
- L'odyssée de Sven, Nathaniel Ian Miller, Buchet Chastel
- Qui sait, Pauline Delabroy-Allard, Gallimard
- Biche, Mona Messine, Livres Agités
- La mémoire de l'eau, Miranda Cowley Heller, Les Presses de la Cité
- Chouette, Claire Oshetsky, Phébus
- le goûter du lion, Ogawa Ito, Picquier
- Que reviennent ceux qui sont loin, Pierre Adrian, Gallimard
- La femme du deuxième étage, Jurica Pavicic, Agullo
- Un profond sommeil, Tiffany Quay Tyson, Sonatine
- On était des loups, Sandrine Collette, JC Lattès
- Hors la loi, Anna North, Stock
- Frankenstein et Cléopâtre, Coco Mellors, éditions Anne Carrière
- Les marins ne savent pas nager, Dominique Scali, La Peuplade
- L'été où tout a fondu, Tiffany McDaniel, Gallmeister
- Fantaisies guérillères, Guillaume Lebrun, Christian Bourgois
- Trois soeurs, Laura Poggioli, L'Iconoclaste
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La vie consiste-t-elle à s’éloigner sans cesse de son véritable moi, au fur et à mesure qu’on est façonné par des écoles spécialisées et des codes sociaux ? Puis-je me fier à ce que je pense en ce moment ? Est-ce réellement ce que je pense ?
Je me demande depuis combien de temps je suis manipulée par les messages subliminaux d’un fœtus. Je me demande si c’est un cheminement commun à toutes les futures mères : d’abord, nous portons un regard parfaitement lucide sur la menace existentielle qui grandit à l’intérieur de notre corps, puis progressivement les impératifs de l’évolution l’emportent sur les objections rationnelles, la volonté de survivre, et les besoins du bébé sur ceux de l’hôte, tant et si bien qu’à la fin, nous, les femmes, en sommes réduites à être l’instrument heureux et consentant de notre propre destruction.
Je sais qu’elle doit s’en vouloir de ne pas avoir réussi à se conduire en amie. Les gens se disent toujours : « Oh, il ne faut pas que j’abandonne cette pauvre femme qui est coincée chez elle avec ce pauvre, pauvre bébé. Je dois penser à l’appeler un de ces quatre. » Mais les jours et les semaines se succèdent et, pour finir, même les plus généreux s’autorisent à oublier leur promesse, parce que la vie est plus facile quand on ne se laisse pas embêter par les bonnes intentions.
De toutes mes belles-sœurs, l’avortée secrète est celle pour qui j’éprouve le plus d’affection. Comme moi, elle a senti le jugement froid d’un clan qui ne voit en nous que des pièces rapportées, des membres temporaires.
« Je suis enceinte. »
Je redoute de le regarder dans les yeux. Alors je fixe le sol. Je remarque qu’il aurait besoin d’un bon coup de serpillière. Puis je me fais la réflexion que les serpillières ne permettent jamais de nettoyer à fond. Ce qui m’amène à penser au ménage en général : une bataille perdue d’avance contre le chaos.
C’est donc ça la maternité ? Être en conflit irrationnel et permanent avec la chair de sa chair ? Être inlassablement remise en question par la volonté obstinée d’un être sans logique ni raison, qui finit toujours par gagner ?
Après l’échec de la méthode ferme, ton père entre dans une phase d’agitation constante à ton sujet. Il s’est mis en tête qu’il sera bientôt trop tard pour te sauver. En seulement quelques mois, il t’a emmenée chez le Dr Lupron, le Dr Cannabis thérapeutique, le Dr Javel, le Dr Stimulation Magnétique Transcrânienne. Il y a des médecins, encore des médecins et après ça des pseudo-médecins et des proto-médecins et des non-médecins. Il y a des spécialistes et des super-spécialistes et des soi-disant-spécialistes. Si je tente d’intervenir, il m’accuse de ne pas penser à toi, il me rappelle mes erreurs et m’inculque ses idées au marteau piqueur jusqu’à ce qu’elles me rentrent dans la tête.
Je ne me ferai jamais à la façon dont les gens réagissent dès qu’ils ont affaire à un enfant un tant soit peu différent du reste du troupeau.
Je me fais la réflexion que tous les nouveaux-nés sont d’une laideur repoussante.
Ce jour-là, tu viens de t'endormir après une colère particulièrement épique et tu exhales de légers soupirs, pendant que je ramasse les bris de verre et la confiture de fraises par terre, et que je nettoie ton caca sur les murs. ton père entonne une fois de plus sa ritournelle sur l'établissement spécialisé.