Citations de Christophe Mahy (64)
Il est toujours trop tard pour l'exil
nous remettons sans cesse à demain
ce qui n'attend pas
[...]
et nous n'avons d'autre recours
que de faire avec
ce que l'absence perpétue.
si loin qu'on pense aller
la distance que nous mettons
entre nous et nous
n'abrège en rien
la pleine mesure
de l'absence.
Il te faut patienter encore
d'une aube à l'autre
sans pour autant savoir
ce que tu attends
depuis toujours
alors veille encore un peu
sur ces instants
aussi éphémères que ta vie
d'heures perdues
et de pas dérisoires.
Puisque l'étape se prolonge
au-delà
et que ta fatigue
rassemble la lumière en crue
sous tes paupières
avant l'adieu aux bruyères
laisse le chemin
se perdre au loin
et jette l'encre
au fond du livre.
Nous ignorons ce qu'est partir
même aux heures d'adieu
car notre vie demeure
plus sédentaire que les pierres
au fond du paysage
je regarde
l'ombre éteinte des morts
noircir le livre
en son âme et conscience.
Puisque hier n'est plus
qu'une pincée de cendre
confiée au vent et à la nuit
puisque demain n'est pas encore écrit
et se conjugue
au conditionnel
il reste à faire valoir
notre souffle court
en haut du chemin
où nous regardons
en arrière.
le souffle obscur du temps
nous dérobe à nous-mêmes
et nous ne sommes au final
redevables de rien
puisque la vie est offerte
à tout bout de champ
et que la fin est l'ultime moyen
dont nous disposons
pour que notre voyage soit
sans retour possible.
Laissons la pluie courir
sur les collines
pour ne plus avoir à franchir
les distances
certes partir est parfois nécessaire
pour différer l'épreuve
qu'il nous appartient
de remettre en cause
à nos heures perdues.
Veillées
extrait 2
Las j’ai donc vécu
sans le savoir
des heures de pluie et de lumière
qui ne doivent rien à personne
et ce n’est au jour
dans la brèche
et nulle inquiétude au matin
pour l’étoile éteinte
et le livre en cours.
et j’ai tant attendu
et j’ai tant attendu
que je crois avoir déjà vécu
cette heure attentive et pure
qui ne guérit de rien
mais pourtant plus nécessaire
que cette vie
de mots perdus
et de phrases ordinaires.
De loin en loin
1
Pendant longtemps, je suis allé où d’autres sont déjà venus. À la rencontre de ce qui se trouve sans être cherché, dans un glissement de nuit sur les grands arbres. D’autres fois, c’est un peu de terre et de soleil mêlés à des prairies fumantes qui m’exhorte au silence. Des lieux indéfinis dont l’existence me fait douter de la nécessité du voyage. Chaque pas est issu du précédent et dépend de celui à venir. Je suis à l’orée des commencements et des fins, là où un peu d’eau défroisse la nuit. Ce qui vient est là depuis toujours, sans inquiétude. Et la herse des hautes herbes ferme la marche.
3
Je ne peux retourner là-bas
que seul
sans ennui ni présence
c’est un lieu commun
que je retrouve
où le silence brisé
me compromet
sans que pour autant
j’en ressente le vide
alors je ne me retourne
en définitive
que sur moi-même
juste pour différer
le point final.
2
Dormeur solitaire
je ne rêve rien
qu’on ne puisse rêver
Je vois la nuit en face
sans me voir
quant à vous vous troublez
çà et là le miroir
entre les vieux nuages
ainsi je ne suis seul qu’avec vous
et ma propre absence
prête à être écrite.
1
Je mets quelques paroles
dans le livre
au hasard des heures
de cette vie plus creuse
à mesure que la nuit
me rapproche de moi
et que le vent tient
le poème à distance.
Après la pluie, les feuilles détrempées étouffent tous les sons. Puis, en quelques heures à peine, une brusque saute de vent déblaie le ciel. L’air devient vif et tranchant comme du silex. L’hiver s’annonce en avançant le crépuscule. Les chemins de terre durcissent dans les taillis. Les arbres sont lavés de froid. Des allées invisibles, qu’on devine cependant à la faveur d’une trouée, passent à gué les fonds obscurs. C’est déjà l’odeur des nuits froides, mêlée aux senteurs plus fades de la tourbe. Des écharpes de buée blanche montent depuis les fondrières. Des croupes abruptes, semées d’arbres enchevêtrés, se relèvent, puis dévalent jusque dans la vallée, dérobée elle-même par des ressauts de bruyère. La marche est alors coupée de silences, hachée de longues écoutes, plus vierges que la neige à venir.
LE VEILLEUR SOLITAIRE
Ma vie à huit clos
les heures à rebours
qui ne comptent plus
toute cette absence
bien présente
juste pour tenir
une parole
qui ne sauve de rien.
CHANDELLE ET SABLIER
Sous la houle du jour
la soif des pétales
abreuve
la marge noire
du monde
où nous sommes dans l'éclipse
ce rien
qui déjà peut éteindre.
CHANDELLE ET SABLIER
Nos pas immobiles
sont au milieu du noir
une lueur vacante
et le poème un amer
qui balise l'obscur.
Puisque je suis de retour
au pays de la pluie
sur la colline
autant voir les labours
pleins d'oiseaux noirs
les éboulis d'écume
dans le ruisseau
les étangs livides
sous la lune
quoi d'autre encore
peut-être un peu de ce que j'aimais
et que je retrouve
même si
l'automne sans le savoir
fait l'éloge
d'un monde en allé.
//revue arpa n°115-116 1er trimestre 2016.
Univers illusoire
montagnes fausses
paysages erronés
ce que je crois
est en moi
seulement
et tout ne commence
qu’où je finis.