Editions Libre2Lire
Editions Libre2Lire
Retrouvez le live de Christelle Fouix où elle vous parle de son roman "Chronique d'une Emprise."
Mon nouveau credo : observer beaucoup, parler très peu. Imiter les mots des autres. Me museler. Paraître normale, tel que je le concevais. Parce que je sentais bien qu’entre les autres et moi, il y avait toujours un fleuve que je ne savais pas comment traverser.
J’ai ouvert une brèche en te convoquant symboliquement dans ce café fictif autour de pintes irréelles
qui me glissent dans la gorge. J’ai ouvert la même brèche que lorsque je commence un roman.
Tu connais peut-être ça toi aussi, si tu as continué d’écrire. Tu commences par ouvrir un fichier sur
ton ordi, tu jettes les bases, les contours, tu tapes quelques pages et puis tu dois t’arrêter pour faire à
manger, faire tourner une machine, aller chercher ton gosse à l’école, aller bosser, bref vivre. Et puis
en vivant, l’histoire que tu as commencée continue dans ta tête. Les dialogues se lancent tout seuls,
les personnages s’affinent, des visages s’y accrochent comme si tu faisais un casting, certaines
tournures te ravissent tellement, que tu es dégoutté de ne pas pouvoir t’arrêter dans ce que tu fais pour
reprendre sur le clavier l’histoire là où tu l’as laissée.
Comme une radio qui ne s’éteint jamais, qui fait une petite sourdine, un bruit de fond qui habille
chacun de tes gestes. On croit qu’on dort, qu’on mange, qu’on regarde un film en famille, mais à
l’intérieur, l’histoire s’écrit toujours, comme un monologue sans fin et sans empreinte, et on pourrait
passer, je crois, une vie entière à regretter de ne pas avoir de quoi écrire quand la phrase parfaite se
pose comme un papillon sur une casserole qui déborde dans le feu du quotidien ou sur un mouchoir
qu’on tend à son enfant alors que c’est déjà trop tard, qu’il a déjà éternué et qu’il en a partout.
Je ne veux pas, Christophe, que tu sois un bruit de fond. Oui, je te nomme, c’est la première fois, et
ça m’en donne une sueur froide. Ainsi, s’il me manquait quelque chose dans ce café imaginaire, c’est
fini, j’ai tout, comme si le soleil qui cognait depuis le début de notre conversation contre la vitre avait
fini par éclairer ton visage. Tu es là, ça y est, et tu me regardes.
Tu ne feras pas un geste, sinon je vais te gifler. Je te menotte sur la banquette en plastique molletonné
de ce bistrot archétypal, tes mains hyperactives ne me chercheront pas cette fois-ci, tu vas rester
sagement assis sur tes maigres fesses osseuses et tu vas m’écouter, de bout en bout.
Tu connais peut-être ça toi aussi, si tu as continué d’écrire. Tu commences par ouvrir un fichier sur ton ordi, tu jettes les bases, les contours, tu tapes quelques pages et puis tu dois t’arrêter pour faire à manger, faire tourner une machine, aller chercher ton gosse à l’école, aller bosser, bref vivre. Et puis en vivant, l’histoire que tu as commencée continue dans ta tête. Les dialogues se lancent tout seuls, les personnages s’affinent, des visages s’y accrochent comme si tu faisais un casting, certaines tournures te ravissent tellement, que tu es dégoûté de ne pas pouvoir t’arrêter dans ce que tu fais pour reprendre sur le clavier l’histoire là où tu l’as laissée.
Comme une radio qui ne s’éteint jamais, qui fait une petite sourdine, un bruit de fond qui habille chacun de tes gestes. On croit qu’on dort, qu’on mange, qu’on regarde un film en famille, mais à l’intérieur, l’histoire s’écrit toujours, comme un monologue sans fin et sans empreinte, et on pourrait passer, je crois, une vie entière à regretter de ne pas avoir de quoi écrire quand la phrase parfaite se pose comme un papillon sur une casserole qui déborde dans le feu du quotidien ou sur un mouchoir qu’on tend à son enfant alors que c’est déjà trop tard, qu’il a déjà éternué et qu’il en a partout.
Je vais donc, et cette fois-ci sans psy, aller chercher avec Joana mes souvenirs, et nommer précisément cette relation qui a été la nôtre, pour la dézinguer, la désosser, l’autopsier, lui faire perdre de sa superbe, de son drame, braquer ma lampe torche sur tes petits yeux torves et tes mains tordues.
J’ai eu beau te raconter, ça n’a fait qu’ouvrir une plaie que je pensais pouvoir refermer seule. Mais je n’y suis pas arrivée. Avec un psy, ça n’a pas marché non plus. C’est donc ensemble que nous allons suturer la béance nauséabonde qu’est notre histoire aujourd’hui dans ma mémoire.