Chloé Delaume

« Le réel, c’est quand on se cogne. »
Jacques Lacan

Page 52:" Apprenez à hiérarchiser vos critères de recherche, prenez en compte les menus détails quotidiens ou comportementaux qui sont, pour vous, rédhibitoires. Rien ne peut empêcher un homme de lire aux toilettes ou d'être ami avec ses ex, vous ne le ferez pas arrêter de boire. Le temps ne change pas l'homme, il l'érode. Sachez déceler le vice de forme. Moult donzelles découvrent tardivement le pot aux roses pour en avoir trop mal jaugé le jardinier."

Je m'appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. Livre et vie s'entremêlent, mon Moi en trois parcelles, auteur, narratrice, héroïne. Je suis d'une trinité forcée de s'incarner, sous peine d'être expulsée par n'importe quel autrui. A cet instant j'affirme : j'écris ce que j'ai vu, ce qui est,ce qui doit arriver ensuite. J'écris et je m'écris, car je suis l'héroïne. Ainsi sera le pacte qui me lie avec l'ange tout autant qu'avec vous.

Ce n’est pas un spectacle pour les enfants. Conclurent-ils de concert le choeur sut s’accrocher. Dans la cage d’escalier la ribambelle noircie. La concierge coryphait le Kleenex à la main. Vacillante aux cothurnes le vernis fut brossé. A la montée des marches le silence s’imposa dans la crémeuse tension qui suit l’extrême-onction.

Moi aussi j'aurais préféré que ce soit la faute à Wagner, manque de pot c'est tombé sur Nicola Sirkis.

Or parfois l'on se doit de s'inquiéter d'un songe quand les larves mémorielles incessamment vous rongent. Car pendant des années accoudée à mon lit maman chanta nocturne de ménades homélies. Et ma vie s'engluait dans la déconfiture : quand pourrait-on m'aimer,moi, l'Antigéniture.

Possession éreintante infinie. Pérennité de la souffrance. Cristaux déliquescents de rage. Acuité des mouvements accrue. Mécanique moribonde du coït annoncé. Chronique rut barbare virité-jacule. Rejet Marie-Madeleine. Combien de sourires sycophantes. Comme la fourchette d'argent que la Merteuil s'enfonçait sous les ongles en crânant. Combien de supplices Ultrz Brite. Combien de fossettes fossoyeur. Non ça ne peut pas se calculer. Calculez, putains, calculez.

Son fils avait la vingtaine et ne votait pas comme elle ; depuis petit il portait son pull sur les épaules et avait toujours refusé de partager son goûter. Que Léo soit de droite, c'était le drame de sa vie, elle se sentait responsable, outrageusement coupable, et cherchait sur le divan ce qu'elle aurait dû faire, ce qu'elle avait fait de travers, pourquoi elle avait merdé pourquoi elle merdait autant pourquoi elle merdait toujours.

La sororité commence là où le règne des mâles s’achève… elle est indéfectible pour qui y croit vraiment.

La violence s’épanouit à l’ombre du totem de la phallocratie.

Elle en a fait le tour, de cette histoire d'amour, où
seul battait son cœur au point de s'y fracasser.

Est-ce vraiment l'autre qui déclenche les émois ? Tombe-t-on amoureuse uniquement parce qu'on a besoin de shoots réguliers de dopamine ? Est-ce possible d'aimer à en devenir folle juste pour ne pas crever d'ennui ?

A quoi mesure-t-on la puissance d'une histoire d'amour ? Longévité, intensité ; la violence du chagrin au vitriol rupture ? A quoi mesure-t-on l'importance, dans sa vie, d'une histoire d'amour ?

Elle voulait du neuf de l'inédit. Or l'inédit c'était le réel, le réel à nu, le réel cru.

p 176

...la poésie peut tout.

p54

"Thoughtsciences". Et non pas "brain" ou je ne sais quel mot empli de chair, ce n'était plus la matière, déjà plus la matière. Ils voulaient la magie du maître réenchanteur, le vaudou appliqué ne leur suffisait plus, il ne pouvait suffire, plus rien ne suffirait. "Thoughtsciences".

Quand un mot n'est plus dit, qu'il n'est plus prononcé, ce qu'il désigne disparaît des esprits.

[Il] voulait donc tout, mais pas elle dans le réel. Ce qu'elle éprouvait, qu'importe, c'était lui et lui seul qui depuis le début menait le jeu. Tout le monde avait raison : ce lien était toxique, elle était sous emprise, complice d'une relation tellement asymétrique qu'elle relevait de l'insulte à son intelligence.

Ce soir la solitude lui pèse comme un sac plein de chatons qu'on mène à la rivière. Personne ne pense à elle et elle ne pense à personne. Elle est de son vivant, pour le monde, un souvenir. Rien n'est plus humiliant que de se sentir faible à cause de cette absence, juste le vide d'amour.

À quoi faisaient écho l'idée que la poésie ramenait à la vie les cendres de l'amour ?