- Le Parti a l'écriture en horreur pour la même raison qu'il a la lecture en horreur. Parce que ça implique d'être seul , au contact d'une imagination libre de toute entrave. C'est de ça qu'ils ont peur.
-Je ne saisis pas vraiment pourquoi je le fais.
-Pourquoi écrit-on? Parce que nos existences s'acheminent vers la nuit. En écrivant, nous préservons une bribe de notre vie. Comme une étoile dans l'obscurité du passé.
- Je vous ai convoquée car j'ai une tâche qui concerne les livres. Je me demandais si vous étiez de ces personnes qui aiment les livres ?
Aimait-elle les livres ? C'était certainement le cas, autrefois. (...)
- J'aimais bien les livres autrefois, admit-elle. Quand j'étais petite.
(...)
- Et vous lisez encore ?
- Je suis bien trop occupée, répondit-elle platement.
Les citoyens se gardaient bien de s'épancher sur leur vie privée. Lire n'était expressément pas interdit - d’ailleurs une liste de livres "aux vertus éducatives" était publiée annuellement par le ministère -, mais un surcroît de lectures personnelles, indépendamment du cadre scolaire ou institutionnel était transgressif pour une femme. Ça fleurait la subversion. C'était le genre de choses qui attirait l'attention et alimentait les qu'en dira-t-on.
Notre Protecteur pense que les livres sont tout aussi dangereux que les bombes. Les mots sont des armes, n'est-ce pas? Ils sont les instruments de diffusion de la propagande.
Lire n'était pas expressément interdit - d'ailleurs une liste de livres aux vertus éducatives était publiée annuellement par le ministère, mais un surcroît de lectures personnelles, indépendamment du cadre scolaire ou institutionnel, était transgressif pour une femme. Ca fleurait la subversion. C'était le genre de choses qui attiraient l'attention et alimentait les qu'en dira-t-on.
L'écriture était peut-être une manière de se dissocier du monde qui l'entourait, ou de refuser de s'y associer. De se retirer vers un lieu intime dont elle-même ne comprenait pas tous les tenants et les aboutissants.
Car la lecture avait ceci de dangereux qu'elle risquait de développer l'usage qu'une fillette faisait de la langue. De l'enchanter, de la griser. De lui offrir de nouvelles manières passionnantes de s'exprimer.
- Dangereux , monsieur ?
- Mais oui. Notre Protecteur pense que les livres sont tout aussi dangereux que les bombes. Les mots sont des armes, n'est-ce pas ?
Elle dut bien vite se rendre à l'évidence : si elle n'écrivait pas, elle ne se sentait pas tout à fait vivante.
La mémoire était un muscle. Moins on l'utilisait, moins elle fonctionnait.
Elle avait la beauté d'un cheval de course