AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Anton Beraber (24)


Le lendemain des forts orages le grand-père venait le secouer dans son lit quelques minutes avant l'aube. C'était beau, qu'il disait, avant que le soleil n'efface tout. Ce que le grand-père entendait par beau passait aux yeux de Retour pour une de ces énigmes dont les morts remplissent les maisons qu'ils nous laissent et, quand bien même le frisson s'en fût communiqué à nous, qu'on refuse de résoudre par attachement au mystère de mourir. C'était beau, qu'il disait, et Retour malgré la fatigue écoutait respirer les pierres, le grésillement de la faïence chaude dans la cuisine, le tapage des sabots de caoutchouc sur le gratte-merde, à l'entrée, pour faire tomber les paquets d'argile sèche. Il y avait le beau des tableaux et des livres, le beau des assiettes peintes sur le mur, d'On ira Où tu voudras Quand tu voudras et des cartes postales mais il ne serait venu à l'idée de personne de tirer quelqu'un du lit à cette heure pour lui montrer une assiette peinte; toute la gloire des Arts et des Lettres, épuisée par le franchissement de la petite couronne, leur mourait sur les murs en reproduction de reproduction. On sortait sans plus parler.
Commenter  J’apprécie          160
Il m'a demandé mon nom et je ne sais plus quel nom j'ai donné. Il m'a demandé pourquoi je n'avais pas de chaussures et je lui ai expliqué que les morts, sur la plage, taillaient tous trop grand. Après il m'a plus regardé, et pourtant j'en suis là, des années plus tard, à parler de lui avec vous dans la voiture; si vous freinez trop fort, ma mémoire éclatera partout sur le pare-brise et on ne verra que lui.
Commenter  J’apprécie          90
On imagine qu’à la guerre il faudrait gueuler moins mais non, tout nous agace, et on voudrait tout corriger. Le commandement faisait ses recommandations et le voisin tirait des lignes très soigneuses sur des cahiers neufs grands carreaux au porte-mine — un sourire ahuri, vraiment. Ça a énervé le frère de Cola Javier et il s’est levé pour tout rempaqueter. On l’a tué là. Le type de la radio a dit, dame ! que ce n’était pas de sa faute si, que les gens n’avaient qu’à pas, qu’il n’avait fait que suivre les, et il tremblait tellement que le pantalon lui tombait.
Commenter  J’apprécie          50
On imagine bien, pourtant, que ce n’était pas prévu comme ça, à l’origine ; que ces océans infinis, ces montagnes, ces forêts du tout début appelaient, je ne sais pas, des hommes à leur mesure ; qu’ils les susciteraient même, comme l’huître fait sa perle, assez naturellement. Il n’en fut rien. Au lieu de ça — mais regardez-les ! ces amoureux de l’humble, ces frayeurs dans les caves, quasi aveugles, mais prêts à lever la main devant leurs yeux au cas où une lueur trop forte apparaîtrait. Ils ont des philosophies de la mesure, des monceaux de proverbes sur la prudence, et ils atténuent leur grande peur d’avoir mal compris en se les répétant les uns aux autres, comme des enfants.
Commenter  J’apprécie          50
Faut la tête claire sinon contre elles on pourra rien. Parfois je regrette, j'aurais dû pas les regarder. C'est comme regarder le soleil. Dans la tête elles te font les grandes tâches qu'après tu vois partout sur les murs. Il y en a qui savent pas et qui repeignent le mur.
p56
Commenter  J’apprécie          40
J’ai vu ce que c’était, avant la guerre, même. Les gens parlaient bas à la terrasse des cafés : toutes les langues oui, mais la nôtre, celle-là, ils la parlaient bas. Comme si on allait s’en souvenir, la tasse, la cuiller, le fou noir de l’échiquier, comme si tout notait dans le secret de sa matière : lui, c’en est un. On rentrait chez soi avant l’heure, et très vite. On commandait des armes aux consulats étrangers, en graissant la patte des sentinelles. On n’en obtenait jamais.
Commenter  J’apprécie          40
Il boit directement au tuyau cette eau morte à lui déchausser les dents. Boire cela, se dit-il, ce n’est pas vraiment boire, pas plus que frapper un mort n’est tuer. Saura-t-il ? Le désir soudain me prend d’être cet homme, de sa manière de tomber et sans orgueil aucun de son autorité d’une seconde sur l’espace. Et la terre derrière lui qu’il a distraitement mouillée blanchit plus encore que le reste : le désert y croît plus vite parce que la provocation.
Commenter  J’apprécie          30
On s’est dit : cela n’a pas d’importance puisque, quoi qu’on fasse, le monde va finir. Mais le monde n’en finit pas et il nous faut bien habiter notre erreur. Et toi, ce qui est bien, Beraber, tu ne nous juges pas. Tu ne relèves rien. Tu t’es décidé, il y a longtemps, de fermer les yeux sur tout. Tu laisses être. Merci. On dira ça, plus tard, aux fils de putes qui viendront pique-niquer sur ton tombeau. »
Commenter  J’apprécie          30
Il est des règnes trop évidemment issus des ténèbres d’avant la Révélation pour ne pas compromettre le salut des braves gens. Quand la peur l’eut gagné lui aussi de ces agapes défendues, bien forcé malgré tout de trouver quelque chose, le militaire organisa des sortes de spectacles où, pour cinq guinées l’agonie, il jetait les petits chats estropiés de Qasr El Eini en pâture à son troupeau de crustacés. " Cela aussi la Loi lui interdit, conclut Mohsen. Mais ce garçon-là aimait une femme du centre-ville, où l’on ne vous présente pas pour moins de quarante mille. "
Commenter  J’apprécie          30
Nous sommes au mitan du saint mois de justice. À peine si la rumeur nous revient, au carrefour, de la cavalcade hallucinée des pardonnés et des impardonnables que la fermeture avancée des bureaux libère trop tôt et qui vont, désemparés par la lumière, s’enfoncer les genoux dans les pare-chocs sans tomber complètement, sans même mal mais des stridences affreuses dans l’oreille, la joue creuse, et rongés par le désir très vite de tout.
Commenter  J’apprécie          30
Je n’ouvre pas les Livres, je ne visite pas les Hauts Lieux. Je ne respecte, à titre personnel, aucune de leurs fantastiques sommations. Toutes les fois que je trouvai sur ma route des hommes respectables, pétris de saines valeurs et de l’orgueilleuse désinvolture des Tu ne point, il m’en coûta moins de les fuir que de répondre à leur salut : il y a dans la sainteté une insolence pénible de joueurs du coude, signe d’une envie trop forte de marcher devant vous ; or, expliquai-je au chauffeur, je ne sais d’hommes beaux que ceux qui boitent.
Commenter  J’apprécie          30
Le beau, dans l’idée du grand-père, devait toucher à ces plantes d’un autre âge qu’il achetait bien plus que de besoin, les choux amers, les rhubarbes à gros fils, les artichauts tout juste séparés du chardon dans la phylogénèse, rosissant sur la coupure, dégueulasses évidemment : botanique d’avant le Déluge dont l’hostilité affichée ne se consommait qu’au prix d’un bouillissement interminable, pas tant pour les cuire que pour y décourager une tendance génétique à la pétrification. La forêt, prise encore dans le bloc de nuit, déposait sur le tube des baromètres une haleine brunâtre et remplissait les collecteurs à pluie de loriots morts. Le beau, dans l’idée du grand-père, c’était ramasser au sol une poire à cinq heures du matin, à l’ongle retirer les œils et mordre dans la chair dure, acide, presque pas de jus, des poires de nature morte, de tombeau égyptien que Retour n’osait cracher de peur qu’une dent ne parte avec.
Commenter  J’apprécie          20
« Hébert menait là quelque expérience solitaire sur lui-même dont le désastre de sa vie ne parvenait pas à le désoccuper. L’effarement de l’âge, la folie douce qui l’eussent dû délivrer de toute autre inquiétude précipitaient au contraire en une panique secrète, rentrée, un effroi confus de vieil homme qui lui durcissait le visage en même temps que l’altération de ses forces prolongeait l’instabilité générale de la matière. Je tâchais de suivre la trajectoire de ses pensées dans les silences de plus en plus longs qui finirent par donner à nos rencontres sur le palier l’air d’une photographie interminable, sans autre résultat que d’ajouter mon nom aux monologues insanes dont il remplissait la nuit du 19-Mars, les listes de récriminations qu’il tenait dans son sommeil, pleines de serveuses et de voitures, de football semi-pro, de hameaux du Sud et de sous-vêtements qui grattent. »
Commenter  J’apprécie          20
Ils pleuraient. La jalousie, le désespoir, le désœuvrement : que sait-on des puissances qui mènent les âmes perdues ?
Commenter  J’apprécie          20
« Parce qu’évidemment il y en a que je sors du lot : celles de la Poste, par exemple, qui ont bien du mérite. Celles qui dorment sous le pont de fer. Les folles. Les vendeuses de muguet mais tout dépend du prix. Les ouvreuses du Salon agricole et, malgré tout ce qu’on pourrait croire, malgré les yeux qu’elle a toujours un peu fixes, madame Mitterrand. »
Commenter  J’apprécie          10
Ce dut être un effort considérable pour elle que de revenir à ce vrai parler des hommes dont elle avait déduit la grammaire des cris, des slogans, des jurons lancés sur son trottoir, et que les pauvresses de tous pays rechignent de pratiquer de peur que cette saloperie-là ne leur déshabite plus l’oreille : on a, dans l’ordre des tombés de tout, une règle impérieuse de silence et de nuit.
Commenter  J’apprécie          10
La fumée, hélas, fait qu’on ne voit rien et qu’on écoute mal.
Commenter  J’apprécie          10
La vérité, c’est que ces ombres sur qui nous avions épuisé nos balles depuis le début des hostilités étaient l’avenir, et que nous étions les ombres. La vérité, c’est que ces gens-là nous singeaient sans risque, nous jugeaient sans faute, un pied sur la page suivante du manuel d’Histoire, où nous ne poserons pas le nôtre. L’avenir en ces cas-là a toute autorité. La vérité, c’est qu’à leur place, les gars comme moi, je les aurais tous pendus par hygiène.
Commenter  J’apprécie          00
Nestor parle de la guerre normale, comme ça se fait d’ordinaire, pas comme celle-ci, l’art et la manière, la stratégie, l’héroïsme, ce genre de choses : cette guerre-ci sent le laisser-aller. Autour de lui, les jeunes appelés boivent ses paroles. On se passe des oranges. Je tends l’oreille : il y a d’autres avions, plus haut, sur la ville pauvre. On dit que nos avions à nous mitraillent les quais pour empêcher les gens de partir à la nage.
Commenter  J’apprécie          00
Et les mouches. Surtout les mouches. Jamais vu autant. On dit qu’elles sentent les choses de loin, le sang et les figues pourries, les têtes de poisson aux yeux gros comme des boutons de fantassins. Elles montent du désert en colonnes et réveillent les djinns au passage. Ou bien elles se créent là, soudaines concrétions de l’air. On peut les écraser du pied.
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Anton Beraber (47)Voir plus

Quiz Voir plus

L' Age d'or de la Science-fiction. Complétez les titres

Jack Barron et...

L'Eternité
Les extra-terrestres
La Mort
L'Enfer

10 questions
17 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fiction , Romans et nouvelles de genre , titres , âge d'orCréer un quiz sur cet auteur

{* *}