Des grandes écoles ont remis un rapport, le 14 octobre, à la ministre de l?enseignement supérieur. Celui-ci contenait des pistes de réflexions pour promouvoir une plus grande diversité sociale et géographique dans ces écoles. Est-il possible de diversifier, de démocratiser les écoles d'élites ?
Pour en parler, Emmanuel Laurentin reçoit Alexandre Moatti (polytechnicien et docteur en histoire des sciences), Nesrine Slaoui (journaliste au Bondy Blog), Nassim Larfa (ancien président d'Ambition campus), et Marianne Blanchard (maître de conférence à l'université de Toulouse).
Le Temps du débat d?Emmanuel Laurentin ? émission du 31 octobre 2019
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L’Europe, ce n'est pas seulement une tour de Babel linguistique, c'est aussi une Babel historique et institutionnelle.
L'Internet est parfois présenté comme une lutte permanente entre deux modèles, celui du libéralisme marchand de la mondialisation d'une part, celui du libertarisme de l'accès non marchand d'autre part. Il a sans conteste permis un renaissance de ce dernier courant, qui s'"est partiellement imposé: en ce sens, on peut parler de révolution numérique, dans toute la force du terme. Mais Internet a aussi été l'une des principales causes du premier courant, qu'il a largement accéléré.
C'est d'ailleurs pour cette raison que l'"industrie culturelle" française, menacée comme tant d'autres industries, par les géants de l'Internet, stigmatise le libéralisme marchand en invoquant la nécessité de l'exception culturelle. Cela ne la rapproche pas, loin s'en faut, du monde de l'Internet culturel non marchand: en fait, elle se bat sur deux fronts. Car, tout en la dénonçant, l'industrie culturelle profite de la mondialisation marchande, avec laquelle elle a partie liée: le système de sélection des contenus par les moteurs favorise par effet d'entonnoir les contenus-vedettes, ceux qu'elle souhaite promouvoir.
Tout en reprenant à notre compte cette idée d'humanisme numérique, précisons-la de deux manières. La première est l'ardente obligation de diffusion et de partage des connaissances sur Internet. Il ne saurait y avoir accès à tous de la connaissance s'il n'y a pas partage de la connaissance par certains, à commencer par l’État et par ses institutions scientifiques et culturelles. Ce partage de la connaissance, avec l'accès numérique à un certain nombre de biens publics qu'il implique, est au fondement même de la notion d'humanisme - et l'a été dès la Renaissance.
Réciproquement, l'Internet, outil d'accès à et de partage des connaissances, entretient une salutaire libido sciendi, un désir d'apprendre. C'est là le second fondement de la notion d'humanisme numérique telle que nous l'entendons: la confiance en nos pairs internautes, capables et désireux d'apprendre sur Internet, d'y exercer leur discernement et de s'y construire une opinion valable sur un certain nombre de sujets, à la lecture de plusieurs sources. Déjà à la Renaissance, l'humanisme était un retour aux sources.
C'est ce plein humanisme numérique que nous souhaitons promouvoir avec ces deux facettes: diffusion des connaissances sur Internet, confiance en nos pairs dans l'utilisation de l'outil. Il ne s'agit pas d'une utopie scientiste: chacun de nous reste conscient des dangers d'un "tout numérique", d'un transhumanisme, d'une religion de l'Internet; C'est même partie intégrante de cet humanisme numérique que de connaître ses propres limites et ne pas passer sur l'autre versant, celui du trans-humanisme à caractère scientiste.
Examinons à présent comment certains courants épistémologiques peuvent nourrir à leur insu l’alterscience – autre forme de connexité. L’essai de définition de la science par Karl Popper en est un exemple. Selon lui, une théorie scientifique est un énoncé qui ne peut être vérifié, mais seulement réfuté. Cette définition est pain bénit chez les ingénieurs concepteurs de théories physiques alternatives. Ils la déforment ainsi : « Une vérité est une chose qu’on n’a pas réfutée. » La théorie combattue, comme la relativité d’Einstein, est ainsi réfutée par leurs « preuves » (par exemple les expériences du pendule paraconique de Maurice Allais) – et ce alors que la relativité a été jusqu’à présent vérifiée par de nombreux tests expérimentaux. Mais, selon leur vision arc-boutée sur Popper, une réfutation a valeur scientifique, ce que n’ont pas mille vérifications : tous les cygnes sont blancs jusqu’à ce qu’on en ait vu un noir. Inversement, que leur propre théorie soit invérifiable ne les gêne pas particulièrement puisque, toujours selon Popper, le caractère vérifiable n’assure pas la validité d’une théorie – nous avons vu que Vallée, par exemple, se souciait peu d’expérimentations relatives à sa théorie…
Le logicien et mathématicien Jean-Yves Girard a décrit les limites de l’épistémologie de Popper. Il qualifie ce qu’il appelle le « paupérisme » de ratiocination et d’idéologie positiviste très surfaite et médiatisée5, qui vient à point nommé servir d’« accompagnement des thèses négationnistes ». Et Girard de brosser un tableau de ces négationnistes qui ressemble au nôtre :
Des aigris, des capitaines Nemo sans Nautilus, qui en veulent à la pensée, cette sécrétion d’une glande inutile, le cerveau, et sa manifestation la plus prétentieuse, les mathématiques.
Jacques Bouveresse [1985] n’est pas en reste contre Popper, lequel « en érigeant l’attitude critique en impératif de la vie intellectuelle, a encouragé les ignorants (qui n’avaient pas besoin de ce genre de caution) à s’imaginer que la contestation de principe était la seule chose qui compte ».
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