Dans une existence aussi longue que la mienne, beaucoup
d’êtres chers disparaissent en chemin... C’est la raison pour
laquelle il faut profiter de chaque instant passé avec ceux que l’on
aime. Demain, arrive si vite et la peine beaucoup plus encore que
le bonheur.
Alayane
Alywen ne parvenait pas à détacher le regard de son portrait. Elle savait qu’un jour elle se promènerait sur cette plage, vêtue de sa robe bleu marine. Et cette constatation lui fit un drôle d’effet…
— Léonard de Vinci ! Le Léonard de Vinci brailla Max lorsqu’elle lui eut rapporté ses nouvelles péripéties.
— Chut, pas si fort ! lui reprocha son amie, plaquant sa main contre la bouche du garçon. Les murs ont des oreilles, ne l’oublie pas. Sans rien ajouter, ils se penchèrent à la fenêtre et furent rassurés de ne pas voir la petite rouquine aux aguets.
— Je n’en reviens pas, qu’elle ait pu te faire ça, constata Max contrit. J’aurais dû t’écouter, cette fille est une vraie plaie.
— C’est pour ça que nous devrons être prudents, ma mère ne me pardonnera pas une seconde fois. Même si je ne pense pas que cette idiote osera de nouveau venir nous embêter ici, je préfère rester vigilante au cas où.
— Tu as raison, elle semble capable de tout pour te nuire...
Puis, se ressaisissant, elle s’insurgea contre ces propos :
— Mon intérêt pour les Hommes est légitime ! Sans eux, nos vies même seraient remises en cause. Que nous le voulions ou pas, nous dépendons de leurs dispositions à croire en notre existence !
— Ne pense pas que je nie ces liens Alayane ! rugit-il, dégageant du même coup une impression de puissance. Puis se radoucissant il ajouta :
— Simplement mon enfant, ils sont dangereux… Notre monde est de plus en plus fragile. Nous ignorons combien de temps nous pourrons survivre, notre nombre décroît de jour en jour, et la plupart d’entre nous se meurent déjà, nous avons besoin de ta descendance, tu dois le comprendre…
— Justement, père, je le comprends et je sais aussi que notre salut dépend des hommes, peu d’entre nous continuent de les côtoyer et ils nous oublient. Je crains que ce ne soit ce manque de promiscuité qui ne condamne notre monde.
Il parut réfléchir un instant, son regard songeur se perdant sur la surface translucide de la rivière.
Étendue de tout son long, le corps de Kériane lui semblait pesant et sa bouche pâteuse. Elle avait le sentiment d'avoir été jetée sans ménagement dans le tambour d'une machine à laver, lancée à grande vitesse, tant tout tournait dans son crâne. Ses paupières refusaient de s'ouvrir en dépit de la lumière dorée qui s'entêtait à vouloir s'y infiltrer.
Rassurés, ils engloutirent plusieurs portions et lorsqu’ils furent tous trois rassasiés, le vieillard prit à nouveau la parole.
— À présent, je vais vous conter la longue et terrible histoire de notre monde, vous devez absolument tout connaitre, afin que vous meniez votre quête à bien.
— Une quête ? Il n’a jamais été question d’une quête ! La seule chose qui nous préoccupe pour le moment, c’est de trouver un moyen de rentrer chez nous sans nous faire attraper par la limace puante qui nous suit, s’écria Kériane avec véhémence.
— C’est pour cette raison que vous devez m’écouter jusqu’au bout, sans m’interrompre. Après mon histoire vous saurez comment retourner chez vous, je vous le promets, la gronda gentiment le vieil homme.
Kériane s’affaissa sur son coussin, les bras croisés en signe de résignation, tandis que ses amis acquiescèrent et se turent. La voix du Loutouk s’éleva alors dans la vaste grotte se perdant dans les profondeurs de la montagne.
La tension qui avait tétanisé Kériane durant tout le récit augmenta encore. Ses pensées fusaient dans tous les sens et des nausées montaient de son estomac. Un puzzle compliqué emboîtait ses pièces une à une dans son esprit et elle luttait pour l'empêcher d'exposer une vérité qui la terrifiait au-delà de tout.