L’amour rend aveugle, dit-on ; pour ma part, en plus de la vue, il m’a ôté toute capacité de réflexion ! Quelle pauvre conne ! Aussi, je me suis juré en venant me mettre au vert ici, près d’Ouachita, que j’allais redevenir la vraie Ava, pas ce fantôme de moi-même privé de ses neurones.
À vingt-trois ans, il était temps d’ouvrir les yeux… De toute façon, la vie à New York avait fini par m’étouffer elle aussi. Il était devenu essentiel que je voie autre chose, que je rencontre d’autres personnes, prenne le temps de m’intéresser davantage à ce que j’avais toujours eu sous les yeux. Autrement dit, que je quitte ma bulle aseptisée de petite citadine et ose m’aventurer hors des sentiers battus, en terre sauvage et inconnue. Adieu buildings, taxis, stress, klaxons, embouteillages, fumées de pots d’échappement de la grande ville ! Bonjour Mère Nature, ses animaux sauvages – bien que jusqu’ici je n’en aie encore croisé aucun (les petits lapins tout mignons, ça ne compte pas vraiment) – et la vie d’air pur et d’eau fraîche !
Il y a plusieurs catégories concernant les gens à qui, parfois, nous confions notre secret sur la sorcellerie. Ceux qui n’y croient absolument pas une seule seconde et nous prennent pour des tarés. Il y a les sceptiques qui attendent qu’on leur prouve. Ceux qui trouvent ça « troooop cool », autrement dit les gamins dans leur tête…
vivre est un risque permanent, dont le premier, le plus douloureux à accepter, est de pouvoir mourir à chaque instant. Donc, ceux qui refusent d’en prendre, en plus de mourir d’ennui quotidiennement, risqueront de gâcher leur vie à un point inimaginable. Hors de question pour moi de finir damné comme tous ces pions qui n’auront pas su profiter de leur existence.
Bien sûr, cela ne m’empêche pas de concevoir qu’armé de cette mentalité de requin et de ces crocs de loup, j’aurais aisément pu faire tout autre chose de ma vie. Mais… je considère qu’il était de mon devoir de continuer l’œuvre trop vite achevée de la vie de mes parents. Cette décision, ce fut mon sacerdoce de fils, d’orphelin en quelque sorte ; c’est la façon que j’ai trouvée de ne jamais rompre le lien qui m’unissait à eux, malgré leur absence, et c’est désormais ce sur quoi repose mon autorité à la tête de la meute.