Les travailleurs se retrouvent donc pris au piège d'une contradiction en acte : la classe ouvrière "produit donc en un volume croissant les moyens de sa propre surnumérisation relative". Le drame auquel font face les travailleurs, c'est que si même leur travail n'est plus nécessaire, il leur faut tout de même trouver de vendre leur force de travail. Car quelles que dégradées que soient les conditions sur le marché du travail, les prolétaires sont toujours contraints de trouver un salaire pour acheter le nécessaire à leur survie. Cette contrainte est reproduite par la structure même du rapport capital-travail, qui les enchaîne au travail salarié par "les fils invisibles" de leur dépossession.
La critique des relations sociales capitalistes implique en même temps une critique de nous-mêmes et des catégories au moyen desquelles nous nous comprenons nous-mêmes.
Plutôt que nous leurrer nous-mêmes par des histoires illusoires au sujet du "rôle des révolutionnaires" et du pouvoir persuasif des idées, nous devrions reconnaître que notre existence et notre activité émergent d'un besoin personnel - émotionnel pourrait-on dire - basé sur les particularités de nos histoires de vie.
Malgré la complexité de ses résultats, le capital n'a qu'une seule condition préalable : les gens doivent être privés d'accès direct aux biens qu'ils jugent nécessaires à leur vie, et contraints ainsi de les obtenir par la médiation du marché.
Notre danse aveugle n'a qu'un chorégraphe impersonnel, qui dicte ses pas par l'intermédiaire du marché. Le langage que nous parlons - avec lequel nous tentons de nous adresser aux autres, dans ce brouillard - est le langage de la valeur. Ce n'est pas la seule langue qu'on peut entendre, si on tend l'oreille, mais c'est la plus assourdissante. C'est celle de la communauté du capital.
Les individus créateurs ne produisent pas leurs idées stimulantes à partir de leurs seuls esprits isolés, mais ils créent au contraire des liens qui élaborent un sens de l'expérience et permettent ainsi l'expression de nouvelles idées qui ont une source sociale ou transindividuelle.
Si se mettre d'accord avec les autres est souvent nécessaire et peut s'avérer gratifiant, les groupes semblent souvent troquer la solitude de l'ego contre les pathologies de la vie groupusculaire. C'est quelque chose qui se comprend aisément puisque le groupe ou le collectif dans la société capitaliste n'en est pas moins une partie et un produit de la société capitaliste que les individus qui le composent. A ce point, la réflexion gagne à partir de la théorie de l'inconscient, qui peut se comprendre non pas comme quelque chose de personnel et d'individuel, mais comme un phénomène social et transpersonnel. Les groupes font ressortir l'inconscient et le rendent visible.
L'acquisition de cadres et de faits théoriques peut tout aussi bien produire une illusion de savoir qui contribue à éviter de tirer des enseignements nouveaux de l'expérience. L'idée que "je" ou "mon groupe" sait déjà et qu'il possède d'emblée les réponses sape l'idée d'incertitude et de questionnement qui seul peut donner lieu à l'émergence de nouvelles idées.