Autour de la trentaine, je pense, elle a arrêté de changer d'histoire. Elle n'en a gardé qu'une, une seule, avec l'exergue, la dédicace, la préface, tous les chapitres, les citations, les notes de bas de page, la bibliographie, les remerciements à la fin, une sorte de thèse comprenant le mariage, la belle-famille, les naissances et tout le tralala.
De mon côté, je suis resté fidèle à ma première manière, le recueil de nouvelles, les incursions rapides dans l'intensité d'un regard, la chaleur d'une odeur, la tiédeur du repli d'un bras, la douceur d'une épaule.
Sans le savoir, avec la chance du débutant, notre petite chèvre a trouvé le moyen d'ouvrir les vannes de son inconscient, et de naviguer sur le flot sans s'y noyer. Ce moyen est l'ennui. Un moteur puissant pour la créaton.
Ma mère vient de mourir.
Elle est morte au petit matin, en me tenant la main. Cela faisait trois jours qu’elle s’enfonçait. Elle est morte avec un sourire, en disant qu’elle me bénissait.
Ma mère s’appelait Blanche. Un prénom improbable, puisque ma mère est noire. C’est un prénom qui se donnait, dans sa famille. Ma mère l’a toujours assumé.
Ma mère assumait tout. Élevée par une mère qui pensait n’avoir aucun droit, elle accueillait la vie comme elle venait, s’émerveillant de chaque petit plaisir qu’elle lui donnait.
Ma mère ne revendiquait pas. Elle ne réclamait rien. Elle ne s’est même pas révoltée quand elle a compris qu’elle allait mourir. Comme si ce qu’elle avait vécu jusque-là était déjà si passionnant qu'elle était satisfaite.
Incipit
elle m'a même offert un dessin... Je l'ai toujours, je l'ai bien sûr : c'est un portrait de moi ; je n'ai jamais été aussi beau que dans ses yeux ce matin-là.
Tout cela semble un peu magique, je le sais bien. Je ne voudrais pas vous donner l’impression qu’écrire, ce n’est que ça. Certains textes sortent tout habillés, casqués comme Athéna. Il y en a d’autres pour lesquels on est obligé d’avoir recours à toute la technologie moderne, de la fécondation in vitro au choix d’une mère porteuse, sans échapper aux forceps, à l’unité de soins néonataux, à la crèche spécialisée, puis à l’acné, la drogue et l’insolence… Si j’en crois ma propre expérience, l’impuissance et le doute sont bien plus répandus que les instants d’inspiration joyeuse. Sinon, tout le monde serait écrivain, vous pensez bien.
Non, la seule chose possible, c'est qu'il lui soit arrivé bonheur. On ne dit jamais ça, il lui est arrivé bonheur... C'est significatif, vous ne trouvez pas ?
Les enfants ont des antennes, et s'ils sentent que leurs parents sont faibles, il est rare qu'ils aillent patouiller dans la plaie....
Dans la catégorie tiers-mondiste désireux de comprendre l'authentique âme africaine, de réparer les erreurs des Blancs, prêt à jurer qu'il n'y a rien de plus beau que l'art nègre et le son des tambours, dans cette catégorie-là, les Français sont ce qu'on fait de mieux, si l'on excepte certains Belges, qui sont hors concours.
Un drôle de sentiment s'insinuait dans mon coeur. Un sentiment sur lequel je n'arrivais pas à mettre de nom, mais qui me faisait comme une démangeaison légère, un peu douloureuse mais surtout agaçante parce que je ne parvenais pas à ne plus y penser.
Je pourrais retranscrire ses phrases au fur et à mesure qu’elle les écrit. Mais je préfère les garder pour moi.
Qu’il me suffise de vous dire que c’est un texte doux sans être niais, quelque chose de touchant, de cotonneux, un peu comme l’espoir d’aller au bout d’un rêve. Un texte lumineux, sorti on ne sait d’où et où Blanchette, sans en être vraiment consciente, est en train de mettre ses tripes.