La croisière en question, c’est un truc invraisemblable, monté par un milliardaire américain. Un certain Richard, qui prend sa retraite en France. Il a fait construire un galion sur des plans datant du XVIe siècle. Un bateau magnifique, tout de bois vêtu.
À l’époque, ces vaisseaux étaient extrêmement inconfortables, et Richard a prévu des aménagements. Il a respecté la dimension historique du galion, dans la charpente, dans l’allure, tout en veillant au confort des passagers.
Il a agrémenté le vaisseau de moteurs diesels aussi puissants que ceux d’un transatlantique ordinaire, pour qu’on ne mette pas des semaines à arriver mais une dizaine de jours.
Enfin, il a baptisé son galion « Lusitania ».
Richard finance un concept qui lui est cher : embarquer des passagers au Havre pour une traversée vers les Amériques. C’est un hommage à son grand-père, qui a quitté la France en 1947 pour les États-Unis, puis fait fortune là-bas. Offrir une occasion de méditer sur la mer, une possibilité de changer de cap, de bousculer le cours de sa vie, de la même façon que son grand-père a changé la sienne en traversant l’océan, c’est l’ambition de Richard.
Les jours de départ, on peut apercevoir Richard sur le quai, à l’écart de la foule. Il surveille les préparatifs avec un sourire de gamin. Il couve les marins du regard, à qui il a demandé de gueuler « Larguez les amarres ! » le moment venu, assez fort pour qu’il puisse entendre.
En son temps, le Lusitania a défrayé la chronique. La foule se rassemble encore sur le quai, sous le cagnard, pour entendre la corne de brume et sentir l’euphorie du départ. Mais seuls quelques paumés embarquent pour de vrai.
« Tu sais, dit Elizabeth, c’est pas si compliqué d’être adulte. Je ne vois pas une infinité de chemins possibles. Mon cœur me montre un seul chemin. »
Toc, toc. John frappe à la porte, deux coups hésitants, au troisième étage d'un immeuble bourgeois, rue Vaugirard.
On devrait arrêter d'attendre. Regarder les choses comme elles sont.
Il a envie d’exploser, de faire voler en éclat les murs de sa prison, et d’emporter sa belle sur un tapis volant, de hurler son désir au firmament.
(Librinova, p.65)
— C'est peut-être indiscret mais... qu'est-ce qu'il y a de plus terrible dans la mort ?
Le vieillard, qui se fait une idée extrêmement vague de l'indiscrétion, répond sans hésiter :
— C'est de penser que ça aurait pu être autrement. Ça ressuscite ma fille, quand je pense "si seulement...". Ce qui est terrible, c'est que ça la ressuscite comme elle était, le jour où elle est morte, alors que bon Dieu ! elle aurait grandi maintenant. Et on saura jamais. Je ne saurai pas comment elle a grandi. Il suffisait de la laisser suivre son cours, elle allait devenir quelqu'un d'autre, chaque jour. Elle a disparu avec toutes ces personnes.
Mary sort de son mutisme.
— Le plus terrible c'est les promesses, moi je trouve. Mon père m'avait promis des moments avec lui. Des prières... Me porter sur ses épaules, même si je suis trop grande. M'emmener à l'école le matin, aussi. Et puis la fête de Noël, près de la mairie. Toutes ces choses...
— Comment on fait sans eux, alors ? demande John, agité.
— On vit avec les souvenirs, reprend Marin. Et le manque.
J’ai appris à lâcher-prise, ici. À sentir le monde, sans le comprendre. T’es un peu petite pour ça, mais Gandhi a dit « La vie est un mystère à vivre, pas un problème à résoudre ».
(Librinova, p.67)
Le vieux songe que c'est vrai, la tristesse a quelque chose de confortable. Elle justifie nos manquements. On est malheureux, alors on se sent dans son bon droit quand on néglige nos proches.
Personne ne semble avoir envie de la connaître. Mais est-ce qu’on a envie de connaître quelqu’un à moitié ? Une moitié de visage. Une moitié de mots car l’autre est étouffée. C’est plus simple de jouer avec les gens qu’on connaît en entier, qui nous ressemblent, dont on est sûrs qu’ils ont un nez, une bouche, une langue, un menton. Madeleine a envie d’arracher ce masque et de leur montrer qu’elle est comme eux, qu’elle aime rigoler, jouer à la corde à sauter, qu’elle connaît un paquet de blagues, elle aussi. Les larmes lui montent aux yeux. Des larmes de rage, car elle se sent prisonnière. Ce bout de tissu lui renvoie sans cesse sa respiration à la gueule, il cherche à l’asphyxier.
C'est difficile, de se regarder dans un miroir et d'accepter que notre vie, notre propre vie qui nous semble si importante, est une vie de plus, une de celles qui ne comptent pas beaucoup. Ce n'est pas se résigner, mais comprendre qu'on ne changera pas le monde, et ne pas en souffrir. Accepter une vie à la hauteur de ce qu'on est devenu, pas à la hauteur de ce qu'on aurait aimé devenir? C'est ne plus vouloir autre chose que soi. C'est faire plus attention aux gens qui sont autour de soi, compter beaucoup pour eux, et oublier tous ceux pour qui on ne comptera pas.