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Critique de berni_29


Nul ne sait peut-être mieux que Stefan Zweig dire l'intranquillité de l'amour, les abîmes incandescents que ce sentiment nous inflige, l'immanence de l'instant, le désastre du temps et sa cruauté infinie. Il le dit avec l'acuité des mots posée sur un geste, un regard, le mouvement fugitif d'un désir qui se dessine.
Le voyage dans le passé est un texte court d'une centaine de pages. L'histoire est simple comme souvent et la magie prend comme à chaque fois que je lis cet écrivain, découvre une oeuvre nouvelle de lui. Ici encore j'ai été chamboulé à cette lecture.
Nous sommes en Allemagne. Un jeune homme de condition modeste et ambitieux, Ludwig, tombe amoureux de l'épouse de son employeur, chez lesquels il est hébergé. La réciprocité du sentiment se dévoile cruellement le jour où Ludwig apprend à celle-ci qu'il est muté en mission au Mexique pour suivre de près là-bas les affaires de son mari. Ce ne sera pas long, tout au plus deux ans, oui deux ans. Dans le frôlement d'une étreinte à peine esquissée, dans la retenue des gestes encore impossibles sous ce toit, ils se jettent cette promesse comme un pont, puisque désormais un océan s‘apprête à les séparer... Elle lui promet de se donner à lui lorsqu'il reviendra. « Plus tard, lorsque tu reviendras, quand tu le voudras ».
Comment, avec si peu de mots, cet écrivain est-il capable d'offrir à sentir une si grande sensualité à fleur de peau ?
Plus qu'un océan, ce sera la guerre et son cortège d'horreur, le chambardement du monde divisé en deux par la Grande Guerre.
Ce ne seront pas deux ans, mais neuf années à éprouver la promesse d'un amour, où la patience naît comme une fatalité, dans l'usure du temps, où l'horizon se referme chaque jour sur l'écho d'un battement de coeur devenu lointain...
Vient le temps des retrouvailles...
Les phrases de Stefan Zweig sont implacables comme la cruauté d'un quai de gare. Comme toujours, la psychologie des personnages est ciselée avec précision, autant dans ce qui est écrit, que dans l'arrière-pensée des mots. Elle, dont on ne connaîtra jamais le prénom, est un magnifique et sensible portrait de femme. Je voudrais tant que tous les écrivains que nous aimons aient ce regard aussi beau et sensible posé sur les femmes...
Ici c'est une nouvelle parue après la mort de l'écrivain. Une note du traducteur dans l'avant-propos, indique que sur le manuscrit découvert après sa mort, Zweig avait barré le titre du récit, sans doute insatisfait. Il est vrai que le voyage dans le passé n'est peut-être pas le titre le mieux inspiré pour dire toute la richesse fabuleuse que contient ce court texte, la douleur d'une séparation où l'usure du temps est aussi cruelle que l'immensité de l'océan ou la bestialité d'une guerre.
Voici deux êtres impuissants, fragiles, inquiets, démunis pour tenter de comprendre peut-être l'indicible qui leur échappe, c'est-à-dire tout simplement l'amour qui vient, qui naît on ne sait pas pourquoi et qu'on voudrait retenir comme on s'accroche désespérément à la vision d'un train qui quitte une gare...
Et puis, comme une esquisse de dénouement, comme une clef de lecture que nous tend l'écrivain au bord de ce quai de gare, ou peut-être au bord du vertige sidéral qui tient lieu ici de paysage, Stefan Zweig nous livre à la fin quelques vers de Verlaine, de son poème Colloque sentimental :

"Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé."

Un grand merci à Gwen21, qui m'a donné envie de découvrir ce texte !
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