AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de MartinManhunter


Comment se relever de la lecture de l'un des ouvrages les plus puissants que l'on ait jamais lu ?
En lisant la quatrième de couverture, je m'attendais à un roman antimilitariste, dénonçant donc les puissants et leurs envies de guerre à tout va, dénonçant les appels des jeunes gens n'ayant rien demandé. Et c'est ce que j'ai trouvé dans *Johnny s'en va en guerre*, mais c'est très loin d'être l'unique chose à en retirer.

Bien entendu la critique de la guerre perpétuelle, du "drafting" de la jeunesse qui n'a rien demandé pour aller se battre contre le dernier idéal à la mode et soi-disant en grand danger dans un endroit du globe (la liberté, la démocratie, *mettez ici le terme approprié*) est extrêmement puissante. On sent bien que l'auteur a vécu cette problématique de manière directe. Cette critique est puissante est puissante, mais surtout elle est encore tellement d'actualité dans notre monde actuel, tellement d'actualité qu'elle nous donne un pincement au coeur. L'homme ne tient jamais compte de ses erreurs.

Comme je le disais, l'exceptionnel portée antimilitariste de ce roman n'est pas son seul atout, loin de là. L'auteur aurait rapidement pu tomber dans un pamphlet sans grand intérêt pour étayer son propos, dans une sorte d'essai contre la guerre avec preuves et chiffres à l'appui. Rien de tout ça. Ici on suit la vie d'un unique soldat après la Première Guerre Mondiale. Sa vie après la guerre. Sa vie après avoir rencontré un obus qui le privera de ses jambes, ses bras, son nez, sa bouche, ses yeux et ses oreilles.
La première partie du livre intitulée *Les morts* passent donc un temps certain à relater l'horreur d'un soldat découvrant petit à petit les séquelles que la guerre auront laissé sur son corps. La perte de repères, l'enfermement, le mutisme, l'angoisse de vivre sa vie ainsi, la manque de notions aussi simple que le temps. Tout est un véritable coup de poing en pleine face. Cette partie est dure, très dure. Elle nous renvoie à nos craintes les plus primaires, les plus élémentaires et c'est en ça qu'elle s'imprime au fer rouge dans notre mémoire.
Donald Trumbo n'oublie pas malgré tout son travail de romancier. Et comme tout bon romancier, il peaufine son personnage. Un soldat mutilé, à la découverte de sa nouvelle vie de cauchemars, n'aurait probablement pas eu le même impact s'il n'avait pas passé un tiers de ce roman à nous le présenter, nous le présenter avant la tragédie. Ces périodes d'accalmie nous permettent de souffler, de nous remettre de toutes les horreurs qui s'enchainent, mais nous permettent de tisser des liens avec Joe, de nouer une véritable connexion avec lui comme rarement un ouvrage de 300 pages pourrait mettre en place. J'ai par exemple en mémoire ce chapitre où Joe part à la pêche avec son père. Tout se résume dans ce chapitre. Tout y est contenu. C'est le genre de chapitres, à priori, anecdotiques au regard de l'oeuvre entière, mais qui permet davantage au roman de s'envoler vers les cieux. Chapeau bas l'artiste.

La seconde partie de l'oeuvre intitulée *Les vivants* prend alors le contrepied de la précédente. Joe se bat alors pour survivre et se lance dans une opération commando, la véritable bataille de sa vie : celle de reprendre vie, de reprendre contact avec ses sens et avec l'humanité. C'est ainsi qu'il mettra au point une méthode pour compter le temps qui passe, ce qui lui redonnera du sens. Puis viendra le moment le plus important : celui de tenter de s'exprimer avec les autres, de se faire comprendre, de demander sa liberté. La force de cette partie est à l'image de sa soeur jumelle. Tellement puissante. Levant tellement d'enjeux que l'on veut voir Joe réussir. Plus que n'importe qui auparavant. On aspire de tout coeur à une issue favorable pour celui qui n'aura rien demandé à personne, pour celui qui se sera retrouvé mutilé contre son gré.

Et pour terminer, impossible de ne pas toucher un mot du style de Donald Trumbo. Encore une fois, quelle claque ! Quelle brutalité, quel génie, quel enchainement de phrases où la ponctuation manque, de phrases qui s'enchainent comme les tirs de balles d'une mitrailleuse, de phrases qui nous étouffent et nous collent à la peau, des phrases qui font mouche et nous laissent essoufflés et sur le carreau. Parfois perdu certes, mais rarement pris autant aux tripes. Ce style ne fonctionnerait probablement pas pour un autre roman, mais bon dieu qu'il est parfait pour celui-ci.

La conclusion sera simple, *Johnny s'en va en guerre* est de loin la meilleure oeuvre que j'ai lu depuis des années. Peut-être la meilleure oeuvre que j'ai jamais lu. Je ne saurais que trop la conseiller à quiconque aurait les nerfs un tant soit peu solide pour affronter sa brutalité.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}