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Critique de colimasson


Pour devenir le Roi, il aura fallu jeter une femme, une profession, une image sociale, et s'enfermer à l'écoute des élans profonds de son être. Retrouver la beauté qu'on espère. Tiffauges aperçoit le diamant pur, encore intact, dans l'âme et le corps de l'enfant.


On craindrait de se perdre dans cet idéalisme qui sonne creux mais le parcours de Tiffauges procède d'un accomplissement qui a tous les attributs du matérialisme. Sa conversion est progressive. Sans crise mystique, elle ne résulte pas d'une crise consciente mais d'une épreuve de vie lentement destructive, érodée jusqu'à ce que l'ultime goutte d'aigreur ne vienne faire déborder un vase prêt à rompre. La seconde guerre mondiale représente cette rupture avec le monde précédent et donne la possibilité à Tiffauges d'embrasser une nouvelle vie. La réalisation spirituelle s'accomplit par le biais d'un matérialisme entier fait de corps en chair et en os, d'animaux puissants et de viande crue, d'appétit orgiaque, de fleuves de laits, de petites têtes tondues et de théorisation sanguine. Comme l'écrit Michel Tournier lui-même, ce parcours se fait comprendre comme « la destruction de toute trace de civilisation chez un homme soumis à l'oeuvre décapante d'une solitude inhumaine, la mise à nu des fondements de l'être et de la vie, puis sur cette table rase la création d'un monde nouveau sous forme d'essais, de coups de sonde, de découvertes, d'évidences et d'extases ».


La figure de saint Christophe, ce héros géant qui traversa une rivière en portant sur ses épaules un petit garçon -le Christ-, guide Tiffauges dans sa réalisation depuis sa rupture avec Rachel jusqu'à sa réalisation en tant que maître d'une Napola. Dans ces écoles paramilitaires du IIIe Reich destinées à la formation de jeunes garçons, Tiffauges apprendra qu'il ne s'était jamais connu jusqu'alors. Il n'était comme personne et il lui fallait connaître une vie comme aucune autre pour le savoir. Sa rupture avec Rachel, compagne à la fois tendre, brave et intelligente, figurait déjà l'instinct anticonformiste de Tiffauges. Ses illusions sur la sexualité et l'amour bourgeois étaient déjà mortes depuis longtemps mais il n'avait encore jamais réussi à en délaisser la pratique. Autre vie, autres moeurs. La guerre et le régime nazi lui font découvrir d'autres extases : l'alimentation crue, brute et animale, la défécation, la jouissance de se perdre jusqu'à se sentir soi, enfin la phorie. La phorie : porter littéralement et métaphoriquement, de jeunes garçons. Littéralement sur les épaules, se transformer en cheval vigoureux qui grise le cavalier. Métaphoriquement en maître, conduire le germe à son éclosion, l'enfant étant une promesse ouverte à une multitude de possibilités. En abandonnant la sexualité dans sa définition classique, Tiffauges découvre qu'il est possible de se lier plus authentiquement au monde. En vivant pour soi, rien que pour soi, sans femme qu'il faut aimer et dont il faut être aimé sous peine de perdre son sens, Tiffauges atteint la quintessence de la matière. A partir de là, la question de la révolution spirituelle ne se pose plus. Elle devient acte à son tour et nous convie à un banquet de belles chairs ondulantes, de reconnaissance pour la vie, de violence passionnée, rien qui ne contredira l'origine du nazisme mais tout qui condamnera la léthargie qui voulut s'y opposer, les compromis, et le sursaut alarmé.
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