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Critique de Aquilon62


En alpinisme on dirait ouvrir une voie, faire la trace, alors je me lance...

À couvrir le Blanc de cette page, à y inscrire une trace que certains suivront ou pas, que certains apprécieront ou pas, dont certains souhaiterons s'éloigner, mais c'est ce qui fait la magie des grands espaces en haute altitude....la liberté

Et autant dire qu'avec ce que ouvrage de Sylvain Tesson on est au comble de la liberté, dans ce qu'elle a de plus pur.

Le postulat de départ est simple : "Il avait son idée : nous partirions en hiver de la mer Méditerranée où sombre la montagne dans des gerbes de palmiers. Nous remonterions vers le nord-est, suivant la courbure de la chaîne, jusqu'à Trieste, ville impossible de l'Adriatique où la convention fixe la fin des Alpes. En chemin, on resterait au plus près de la crête axiale. Nous dormirions dans les refuges, les abris. Ce serait une chevauchée, mais à ski, entre deux mers. Rien que la neige ! Il y aurait des centaines de kilomètres à arracher, mètre après mètre. Cela sonnait comme un travail de forçat. En réalité, c'était une aubaine : la définition du bonheur est d'avoir un os à ronger."

Ça c'est sur le papier car quiconque a déjà fréquenté les grands espaces et à fortiori la haute montagne, du "rêve à la réalité" il y a souvent un fossé pour ne pas dire une crevasse..
Car comme le dit Tesson lui-même : "Nous aimions relier des lieux inaccessibles par des endroits infranchissables."
Alors c'est parti pour cette expédition de 4 ans à travers les Alpes, à travers 4 pays, à travers les frontières qui évoquent à l'auteur "cette excitation de passer une frontière. Ces lignes ne se réduisaient pas à de simples abstractions. Elles distinguaient objectivement les mondes, confirmant que leur existence n'était pas pure convention. de part et d'autre, les langues, les habitudes, les conversations et les rapports au ciel, à l'amour et à la mort n'étaient pas les mêmes."
Au début de l'aventure, il y a du Lac son guide, et Sylvain Tesson, qui seront bientôt rejoints par un troisième" larron" : Removille ingénieur de métier.

Et autant dire qu'à partir de ce moment là, ce sont 3 visions qui prêtent à sourire tant les contraires s'attirent :
"Il s'échappait dans Le Blanc, usant sur la montagne des principes de son existence : rigueur, calcul, efficacité. Là où du Lac mettait l'instinct, il raisonnait. Il s'arrêtait dans la pente, consultant ses écrans pour vérifier la position, estimer le risque d'avalanche. du Lac disait : « Je passe là selon que je le sens. » Rémoville : « Moi, parce que je l'ai calculé. » du Lac reniflait, Rémoville raisonnait, j'assurais le commentaire et suivais le mouvement né des noces de la raison et de l'instinct. du Lac disposait ainsi d'un compagnon précieux pour les mesures de pente, les prévisions météorologiques, l'orientation générale. "
Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, et c'est absolument jubilatoire.

Entre le rêveur pour qui le voyage se situait à l'opposé de l'itinéraire chateaubrianesque en Terre sainte où le voyageur circule dans une géographie historique, cherchant une référence sous les pierres. « Chaque nom renferme un mystère ; chaque grotte déclare l'avenir ; chaque sommet retentit des accents d'un prophète », dit le voyageur de l'espace historique. Chez Chateaubriand, pour comprendre, il faut savoir. Dans le Blanc sans mémoire, l'espace règne seul. L'Histoire n'imprime pas de trace, l'homme n'écrit rien. C'est la patrie du vide « que la blancheur défend ».

Celui très pragmatique qui par son métier fait de montées et de descentes aussi rapides qu'efficaces, choisit la voie, scrute le paysage à la recherche du meilleur passage, ne laisse rien au hasard : "Au col, du Lac tenta de couper par un couloir, assuré à la corde autour d'un becquet de roche. Il renonça. Nous contournâmes la barre et descendîmes plus loin, quand la pente s'ouvrait. Exact plaisir : se préoccuper de savoir où passer."

Et enfin celui pour qui tout est binaire, oui ou non, 1 ou 0, et sans mauvais jeu de mots Blanc ou noir. Celui qui menait sa vie comme une mécanique avec femme, enfants doués et responsabilités d'adulte. le ski était son échappatoire. Il s'échappait dans Le Blanc, usant sur la montagne des principes de son existence : rigueur, calcul, efficacité.

En tout cas c'est du Tesson, chaque phrase, chaque mot chaque réflexion est un flocon qui vient se déposer sur un autre jusqu'à former cet ouvrage où le voyage devient poème. "La neige tombait. Elle fondrait. Il ferait jour. Nous allions, pleins d'amour pour l'éphémère."
En parlant de fonte : “Quand fond la neige, où va Le Blanc ?” aurait dit Shakespeare selon une citation apocryphe.

À chacun sa réponse mais si on pense à ailleurs, Paul Morand répondrait : « Ailleurs est un mot plus beau que demain. »
Sylvain Tesson nous en livre plusieurs réponses, telles des traces aussi éphémères soient-elles.
En ce qui me concerne j'en retiens l'aphorisme de Cicéron.....

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