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Critique de LaSalamandreNumerique


- "Bonjour Fils.
- Hmmmm ?
- Je t'apporte une lecture maus costaude !
- Cela sent le jeu de mots foireux comme tu les affectionnes papa. C'est quoi ?
- Un roman graphique de 1500 cases et 292 pages. C'est en noir et blanc et a reçu le prix Pulitzer.
- Bigre, et cela s'appelle comment ?
- Maus.
- D'accord, voilà le jeu de mots, tu t'es surpassé ! Je suis trop gentil, cela restera entre nous. Et quel est le sujet ?
- La Shoah
- Non. »
- Non ?
- Non. Pas question.
- Pourquoi ?
- Je n'ai rien contre le devoir de mémoire, toussa, toussa mais… mais je connais tout ce qu'il y a à savoir sur le sujet et ne ressens aucunement le besoin que l'importance de cet événement historique me soit rappelée. Je connais le contexte actuel, la montée des extrémismes, la comparaison entre notre période et les années 30 ; je n'ai pas besoin de ces rappels. En revanche, lorsque je lis quelque chose sur le sujet je me sens toujours pris en otage entre une compassion obligée, un étalage d'horreurs que je connais mais que je ne désire pas voir sans cesse, parfois l'impression d'une réification voire d'une manipulation ou, ce qui est pire, un sentiment de voyeurisme. Alors non. »
- Je comprends et partage ce que tu me dis mais ici c'est différent. Puis-je tenter une explication ?
- Puis-je y échapper ?
***
- Maus a été publié entre 1980 et 1991 aux USA et est sans doute une des 10 bandes dessinées/romans graphiques les plus connus et reconnus. Selon moi c'est justifié et il s'agit d'un réel chef d'oeuvre.
L'histoire se déroule dans deux lieux et à deux époques. Les années 30 ou l'on assiste à la vie de Vladek Spiegelman et de sa famille lors de la montée du nazisme puis de la shoah et, simultanément, durant les années 80 à New-York ou l'auteur, Art Spiegelman, présente sa vie difficile avec son père comme la façon dont il obtient ce récit.
- Il y a donc une forme de mise en abyme ?
- Oui, elle est permanente et apporte beaucoup. Nous alternons donc ces deux récits Il y a celui des événements touchant Vladek et sa famille. Sa force est qu'il est avant tout descriptif, à hauteur d'un homme. Vladek raconte ce qu'il a vu, comment il a lutté pour survivre, ses courages, ses compromissions, celles des autres autour de lui… C'est très touchant de l'observer chercher sans cesser à faire au mieux en tant qu'homme aux prises avec un monde qui devient cauchemardesque. La mise en abyme montre en effet ce qu'est devenu ce père presque 50 ans plus tard, combien il reste marqué par ces horreurs (il est avare, angoissé, égocentrique et peut même paraître raciste par moments), combien aussi cette histoire, indirectement, affecte la vie de ceux qui l'entourent à commencer par son fils. Art est à la fois exaspéré par son père et ses manies, avide de connaître son histoire, il se sent coupable par rapport à son père comme de pouvoir avoir un succès en tant qu'auteur à partir de la shoah et des atrocités vécues par tant des « siens ».
- Je comprends et cette relecture peut avoir son intérêt. C'est un peu comme Finkielkraut et « La mémoire vaine du crime contre l'humanité », le sort de la génération suivante. Autre chose d'important ?
***
- Oui, le zoomorphisme. Art Spiegelman a fait le choix de représenter tous les personnages selon leurs « races ». Les juifs sont des souris, les nazis des chats, les polonais des porcs, les rares américains des chiens et la femme d'Art, française, une grenouille.
- Les polonais n'ont pas dû aimer ! Plus sérieusement est-ce que ce n'est pas donner raison à l'idéologie nazie que de représenter des individus déshumanisés et selon le concept de race ?
- C'est un vaste débat et qui a fait couler beaucoup d'encre ! Au passage tu as raison les polonais ont détesté. Plus généralement les nazis parlaient de la vermine juive, critiquaient Mickey Mouse, le choix n'est donc pas innocent… sans parler évidemment de la facilité à montrer des souris chassées par des chats ! Mais, au-delà de la référence aux discours nazis il y a clairement la volonté de montrer la déshumanisation de cette période (les juifs étaient réellement niés en tant qu'individus) et sa logique tout en offrant sur le plan graphique un avantage certain : s'attacher au récit lui-même et pas aux apparences des personnes. Il est possible aussi qu'il y ait la volonté, comme dans les fables, de pouvoir représenter l'inmontrable tout en lui donnant une portée universelle. le noir et blanc y concourt lui aussi.
- D'accord mais c'est dangereux de sembler donner raison à ces idéologies.
- Si tu le lis tu te feras ton avis mais ton point de vue actuel est partagé par d'autres. Il y a d'ailleurs eu par exemple la publication éphémère (interdiction pour violation des droits d'auteur) d'un roman graphique copiant totalement Maus mais où tout le monde était représenté en chats : cela s'appelait Katz et tu trouves divers commentaires à ce sujet sur Internet si tu es curieux. Enfin, et puisque je te parle de ce qui entoure l'oeuvre, Art Spiegelman a publié en 2011 Metamaus où il explique la réalisation de Maus et répond aussi aux principales questions entendues depuis plus de 30 ans. Mais c'est une autre histoire !
***
- Oui, je vais voir si je trouve un peu de temps déjà pour Maus. Je ne te promets rien. »
….
Ce que mon fils de bientôt 16 ans a pu penser de Maus a peu de raisons de vous intéresser mais je vous incite à découvrir, si ce n'est pas déjà fait, cette oeuvre singulière et admirable par bien des aspects. Je ne saurais trop vous encourager à ne pas vous laisser rebuter par un sujet qui peut effrayer et/ou par un dessin de prime abord peu séduisant. Une fois entré dans ce bouleversant récit, il est difficile de le lâcher et qui le vit en ressort différent et sans doute plus humain. Je vous souhaite une belle découverte !
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