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Critique de Aquilon62


La difficulté dans l'écriture d'un roman historique, et à fortiori dans sa lecture, c'est que tout se joue sur ce fil ténu, qui oscille entre L' Histoire et le romanesque, ou chacun évolue tel un funambule....

Ce fil qui n'est pas sans rappeler Parques ou Moires des mythologies romaine et grecque, mais pourquoi un tel parallèle, me direz-vous ? c'est très simple la réponse est dans ce livre, j' y reviendrais....
Car tout roman historique est un ouvrage dont chaque personnage, chaque lieu, chaque référence est un fil dont le tissage fera une trame efficace... 

Alors on pensera en premier lieu à la première de ces trois soeurs 
Nona (ou Clotho pour les Grecs anciens signifiant "filer" en grec ), c'est elle qui fabrique et tient le fil des destinées humaines. Celle qui fera dès les premières pages que le lecteur sera happé, par l'histoire, par les protagonistes, par les lieux, celle sans qui on peut très vite lâcher prise... Un fil mal engagé, une ficelle un peu trop grosse et c'est tout l'ouvrage (dans sa double acception) qui va rapidement s'effilocher... 

Viendra ensuite Décima, (Lachésis pour les Grecs qui en grec signifie "sort") qui déroule le fil et qui le met sur le fuseau. Celle qui au bout d'un certain nombre de pages fera que vous décrocherez, ou que vous resterez accroché à ce fil invisible qui ce sera tissé entre l'auteur et son lecteur. Passé ce nombre de pages fatidiques, variables selon chaque lecteur, l'affaire est entendue, et vous êtes pris dans les mailles du filet... 

Et enfin Morta (ou Atropos pour les Grecs, "inévitable" en grec) , celle qui coupera impitoyablement le fil qui mesure la durée de la vie de chaque mortel. Dans la lecture point de mortel, mais juste les derniers mots posés sur une dernière page. Comme un ultime voyage au bout de ces chapitres... 

Ces derniers en l'occurrence dans ce roman : "Car il faut habiter les songes pour supporter le vent que font souffler les dieux." (Marc-Aurèle) sont à l'image de cet ouvrage. 

Après sa trilogie occitane François-Henri Soulié nous emmène cette fois entre Byzance et Jérusalem au 4ème siècle après Jésus Christ

Période charnière a bien des égards...
Petit retour arrière néanmoins : l'empereur romain Constantin est en guerre contre un rival lorsqu'en octobre 312, aux environs de Rome, il a une vision : une grande croix lumineuse dans le ciel, accompagnée des mots : « In hoc signo vinces » (par ce signe, tu vaincras.) La nuit même, en songe, Jésus Christ lui apparaît pour lui expliquer le sens de cette vision : il faut qu'il fasse coudre sur ses étendards un symbole chrétien, le chrisme (la superposition des lettres grecques X et P – les deux premières lettres du mot « Christ », en grec, évoquant aussi la croix).
Le 28 octobre 312, au pont Milvius, Constantin livre bataille contre son adversaire, dont l'armée est deux fois supérieure en nombre, et il remporte une victoire décisive. Constantin, élevé dans le paganisme, se convertit alors et devient le premier empereur romain chrétien.
Il finira par jeter son dévolu sur Byzance pour établir sa nouvelle capitale qui deviendra de fait Constantinople. 

On ressent dans le texte les confrontations de ces croyances qui se téléscopent telles les vagues de la Méditerranée qui sert de fil conducteur à la navigation de l'Hermapóllôn, forteresse impériale flottante. 
"Oui, vous avez approché les rages de Scylla et les rugissements issus des profondeurs de son écueil, vous savez ce que sont les rochers des Cyclopes. Reprenez courage, bannissez la triste crainte ; peut-être qu'un jour tout cela ne sera qu'un bon souvenir."

Souvenir au propre comme au figuré, les cultes polythéistes cédant la place aux monothéiste.
Car la trame sur laquelle est construite le roman est une réalité. Hélène la mère de l'empereur Constantin est envoyé en Terre Sainte. Où selon la tradition, elle découvre à Jérusalem les reliques de la Passion du Christ, donnant une impulsion importante aux pèlerinages. La découverte légendaire la plus importante d'Hélène est ce qu'on appelle communément l'invention de la Vraie Croix. Tout cela lui vaudra d'être canonisée

La mythologie se mêlant subtilement sous la plume de l'auteur, au culte de Mithra (qui rejoint ce que l'on appelle les religions à mystères ou cultes à mystères), à la montée du christianisme. 

Ce qui provoquera des querelles théologiques entre les différents protagonistes de ce voyage à la quête des reliques de la Passion. À l'image de cet échange entre Hélène mère de l'empereur et Cabiria sa suivante :
"Eusébios lui ressemble un peu, encore qu'il se cramponne à son dogme comme si tout autre choix menait à l'enfer. Mais qu'advient-il des plus belles idées entre les mains des conquérants ? Crois-moi, Cabiria, si le christianisme devient l'unique religion de l'Empire sous l'influence d'hommes tels que Makarios, alors nous verrons les persécutés d'hier devenir les bourreaux de demain. Et ce sera ma faute, car c'est moi qui ai poussé mon fils du côté du Christ.
— Il reste l'espoir de la résurrection, murmure la jeune femme en pensant à son mari.
Helena se tourne vers elle, plante son regard dans le sien.
— Crois-tu réellement qu'Athēnâ soit sortie tout armée du crâne de Zeus avec sa lance et son casque ? 
— Je crois que c'est une jolie légende, concède Cabiria avec douceur.
— Si Jésus a vraiment ressuscité, pourquoi ne s'est-il pas montré à ses juges ? Pourquoi ni le roi Hêrôdês ni le préfet Póntios Pilátos ne l'ont-ils vu ? Pourquoi n'est-il pas apparu à tous les puissants de la terre dans toute sa gloire ? Pourquoi un événement aussi prodigieux est-il resté confidentiel ?… Même les Évangiles sont confus à ce sujet. C'est à peine si quelques-uns de ses amis l'ont aperçu après sa mort et encore ont-ils eu grand peine à le reconnaître !… Cela aussi est une jolie légende. Je te le dis, Cabiria, nous sommes en train de mettre en route la plus grande imposture de tous les temps !"

Ou cette chute du culte de Vénus : " les ouvriers s'arc-boutent sur les cordes, tirant par saccades, une fois, puis deux fois. Un formidable craquement résonne dans la vaste salle du culte, suivi d'un fracas assourdissant. La statue géante s'est effondrée, brisée en plusieurs morceaux. L'instant d'après, la tête de Vénus dégringole de marche en marche pour venir s'immobiliser au milieu du pavement du cardo. Dans la chute, les yeux ont perdu leurs prunelles de lapis-lazuli. La déesse déchue regarde le caniveau de ses orbites énucléées."

L'écriture sait également se faire poétique
" La voûte nocturne est tellement pure que les étoiles y brillent comme dans une boîte à bijoux. D'un bout à l'autre de l'horizon, la Voie lactée déverse sa rivière de perles iridescentes.
Par les forces conjuguées des rames et de la voilure, l'Hermapóllôn a rattrapé le temps perdu. le navire a atteint cet endroit de la mer où il n'y a plus que la mer. Aux confins, elle semble se dissoudre dans le ciel lui-même. En ce lieu, en ce moment précis où l'espace et le temps paraissent ne plus faire qu'un, tout marin véritable éprouve dans sa chair un vertige enivrant. L'âme éprise d'absolu est transportée par cette aristocratique solitude de l'infini. La dérisoire fragilité de l'être s'abandonne soudain à l'éternité."

Mais aussi démontrer les questionnements des personnages 
" en entreprenant ce voyage, je ne sais quelle folle espérance m'habitait. Je me rendais au pays du Christ ! Je m'imaginais déjà mettant mes pieds dans la trace de Ses pas, posant mes yeux sur des paysages d'autant plus sacrés qu'Il y avait posé les Siens… J'allais emplir mes poumons d'un air qu'Il avait respiré et tout imprégné de Son essence divine. Stupide que j'étais !… Je n'ai vu que des pierres, des cailloux, des rochers, des montagnes en tout point semblables à ceux que la nature a disposés partout. Vides de toute présence.[...] Il n'y a rien à voir à Hierousalēm. Rien. Nous avons remplacé la cité du Christ par cette imposture qui avait nom Aelia Capitolina… Et maintenant, nous prétendons lui restituer sa dignité de ville sainte par une imposture plus grande encore."

Mais finalement la phrase qui résume le mieux cette période, n'est-elle pas celle-ci : Qui sommes-nous pour juger et trancher de ces mystères qui nous baignent de toute part ? Après tout, Dieu s'engouffrera toujours dans la béance de nos peurs et de notre ignorance.
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