Depuis l'âge de douze ans, Dana savait comment elle voulait perdre sa virginité. Ce serait par une belle nuit de clair de lune, dans quelque lointaine île tropicale, sur une plage que les vagues viendraient battre mollement. On entendrait en fond sonore une douce musique. Un bel étranger distingué s'approcherait d'elle, plongerait son regard dans ses yeux, dans son âme, la prendrait dans ses bras sans prononcer un mot et la transporterait avec sensualité près d'un palmier. Ils se dévêtiraient et feraient l'amour tandis qu'au loin la musique accompagnerait leurs ébats jusqu'à l'orgasme final.
En réalité, elle perdit sa virginité sur le siège arrière d'une vieille Chevrolet, après une danse de l'école, et entre les bras d'un rouquin de dix-huit ans qui répondait au nom de Richard Dobbins et qui travaillait au Forum avec elle. Il lui avait donné sa bague et, le mois suivant, était parti vivre à Milwaukee avec ses parents. Dana n'avait plus jamais entendu parler de lui.
En effet, ce dont elle avait rêvé se produisait réellement : à cet instant même on massacrait absurdement et brutalement des victimes innocentes, hommes, femmes et enfants. Elle repensa aux paroles du professeur Staka : « Cette guerre en Bosnie-Herzégovine dépasse l'entendement. » Ce qui lui semblait le plus incroyable, c'était que le reste de la planète parût s'en désintéresser. Elle craignit de se rendormir et de revivre tous les cauchemars qui hantaient son cerveau. Elle se leva, alla à la fenêtre, et contempla la ville. Tout était calme, pas d'armes à feu, pas de gens en train de courir dans les rues en hurlant. Cette paix avait quelque chose d'irréel.
Pomona, Californie : une instructrice de judo capture un violeur qui s'apprêtait à l'attaquer
Parfait, décida Dana. Elle arracha le texte imprimé, le fourra en boule dans sa poche et s'empressa d'aller voir Bill Crowell.
« Une de mes anciennes camarades de collège vient de m'appeler, dit-elle d'une voix tout excitée. Elle regardait par la fenêtre lorsqu'elle a vu une femme attaquer un violeur présumé. J'aimerais suivre cette affaire. »
Crowell la regarda quelques instants. « Allez-y. »
Dana se rendit à Pomona en voiture afin de recueillir l'interview de l'instructrice de judo et son article figura cette fois encore en première page
Je ne voulais pas uniquement parler de votre beauté physique, mademoiselle Stewart. Je suis au courant de la manière dont vous avez réagi à toute cette histoire sordide. Ce doit être très pénible pour vous. Moi-même, en apprenant la nouvelle, je n'ai pas voulu y croire. » Il prit un ton courroucé. « Qu'est-il advenu de notre bonne vieille morale ? Pour ne rien vous cacher, je suis dégoûté de la manière tout à fait méprisable dont Oliver vous a traitée. Et que Jan l'épouse me rend furieux contre elle. Comme c'est ma fille, j'éprouve en un certain sens de la culpabilité. Ils se valent bien l'un et l'autre et méritent d'être ensemble. »
Par la suite, elle ne sut jamais qui, d'elle ou de lui, avait pris l'initiative. Elle se rappelait seulement qu'ils s'étaient mutuellement dévêtus, qu'elle s'était retrouvée dans ses bras et qu'ils s'étaient étreints de manière fébrile, bestialement, pour ensuite se fondre lentement et en douceur l'un dans l'autre, dans un rythme intemporel et extatique. Leslie n'avait jamais éprouvé pareille sensation de félicité.
Ils passèrent la nuit ensemble et ce fut magique. Oliver était insatiable, donnant et exigeant en même temps, et il n'arrêtait pas. C'était une bête. Et Leslie pensa : Oh, mon Dieu, moi aussi j'en suis une !