AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cannetille


Née dans un kibboutz en 1959 et grièvement blessée en 2004 dans l'attentat qui pulvérisa l'autobus où elle se trouvait, Zeruya Shalev raconte, au travers des trajectoires brisées de deux femmes ordinaires, l'histoire d'Israël de sa fondation à nos jours : une longue descente aux enfers, de l'enthousiasme des idéaux à la stupeur des désillusions, quand le pays n'est plus aujourd'hui que fractures et déchirements dans une actualité toujours plus sanglante et explosive.


Rachel et Atara n'ont a priori rien en commun et pourtant leurs destins sont inextricablement liés. Rachel la nonagénaire vit depuis cinquante ans dans le désert de Judée, dans une colonie israélienne en territoire occupé. Elle qui rejoignit le Lehi, un groupe sioniste extrémiste qui, entre 1940 et 1948, employa le terrorisme pour libérer la Palestine des Britanniques, considère avec autant d'amertume que d'incompréhension l'état de division de son pays. Cette laïque qui crut tant au projet sioniste de 1948 n'est en l'occurrence que perplexité face au judaïsme ultra-orthodoxe choisi par l'un de ses fils. D'abord très réticente, elle se découvre en fait empressée de se raconter à une inconnue prétendant mener une étude sociologique sur les femmes du Lehi. Cette interlocutrice, Atara, est en réalité architecte du patrimoine. Bien trop assaillie par les regrets et les remords jalonnant un parcours marital et familial marqué par les ratages, entre divorces et foyers recomposés, pour se préoccuper de la vie politique de son pays, cette presque cinquantenaire s'intéresse en vérité à Rachel pour une raison toute personnelle : sur son lit de mort, son père l'a confondue avec une certaine Rachel, visiblement un ancien et très grand amour perdu…


A travers ces deux femmes dont l'existence, en une cascade infinies d'échecs et d'incompréhensions, contrarie sans cesse les aspirations et les projets, c'est le désarroi de la société israélienne dans son entier que peint ce roman aussi politique que finement psychologique. Car, à mesure que la narration investigue, à presque en épuiser son lecteur, les mécanismes au sein du couple, de la famille et de l'âme de ses personnages, se fait jour la perception d'une société fondamentalement étouffante, entre permanence de la guerre et traumatismes associés, différends idéologiques, politiques et religieux, et enfin pression territoriale, des colonies en zones occupées au mur de séparation, en passant par le chaos de l'urbanisme. Vivre en Israël, déclare un des protagonistes, c'est vivre sur un volcan qui peut entrer en éruption à tout instant et vous chasser d'ici. « A quoi bon préserver le patrimoine d'un pays qui n'a aucune chance d'exister dans deux ou trois générations. » « Il faut construire vite, simple et fonctionnel, sans s'occuper du passé », en l'occurrence des appartements avec pièces sécurisées…


Méticuleusement soigné dans sa construction et ses analyses psychologiques, ce roman sombre et tragique qui donne à comprendre l'histoire collective au travers d'un récit intimiste porte un regard vibrant, très éclairant, sur une société israélienne fracturée, parvenue au bord du schisme.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          9214



Ont apprécié cette critique (91)voir plus




{* *}