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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


Nour, 17 ans, vient du Bénin. Née femme dans un corps d'homme, son identité transgenre lui attire haine et outrages dans son pays. Avec sa soeur jumelle, elles décident de fuir, de traverser le continent et la Méditerranée pour gagner l'Europe et le droit pour Nour de vivre sans se cacher.

Leur parcours est une traversée du désert, au propre et au figuré. Sauvée in extremis par des soldats nigériens au milieu du Ténéré, Nour aboutit dans le camp de migrants de Choucha en Tunisie, un camp géré par le HCR, à un jet de pierre de la frontière libyenne.

Convaincue que révéler sa transidentité l'exposerait à nouveau à une cruelle ségrégation, aussi bien de la part des femmes que des hommes, Nour se fait passer pour une femme, avec toutes les difficultés que cela entraîne en l'absence de traitement hormonal digne de ce nom : pilosité, voix rauque, nécessité de porter des vêtements amples pour cacher ce qu'elle a en trop ou en trop peu. Elle est tellement décidée à garder jusqu'en Europe le secret de sa véritable identité et de sa tragédie personnelle que, dans le cadre de sa demande d'asile, elle ne raconte pratiquement rien de son parcours. Et, forcément, sa demande est refusée par le HCR, faute d'éléments justificatifs. Désormais rejetée dans le camp de ceux qui n'ont aucune chance de passer légalement en Europe, elle devient rabatteuse pour des passeurs libyens sans scrupules, qui lui promettent des papiers à condition qu'elle leur ramène suffisamment de candidates à la traversée.

A ce stade de désespoir, il n'est plus question que de survie. Nour comprend vite que la plupart des femmes qu'elle pousse dans des canots pneumatiques en direction de Lampedusa se noieront ou seront interceptées par les garde-côtes libyens et jetées dans d'infâmes prisons. Mais, obnubilée par son rêve d'Europe et de liberté, elle fait taire son dilemme moral, devient impitoyable et détestable, s'isole de plus en plus, refuse de voir les rares mains qui se tendent encore vers elle. Dans ce milieu ultra-violent, elle ne croit plus guère à l'humanité.

Pour être relativement bien renseignée sur les parcours migratoires, je pense que « Seul le mensonge est vrai » est malheureusement très réaliste, et que toutes les horreurs qu'il donne à lire sont largement plausibles. Pas de doute que l'auteur s'est bien documenté sur son sujet. Il y a non seulement la terrible épreuve de la traversée du Sahara, la promiscuité de la vie de sans-papier en Libye et dans les camps de migrants, la corruption des autorités locales qui empêche le travail humanitaire, la cruauté des passeurs qui n'ont rien à perdre et qui menacent, violent, torturent, réduisent en esclavage et tuent sans états d'âme. Mais je me demande si le plus cynique, le plus amoral, le plus innommable, ne se trouve pas dans l'attitude de certaines autorités européennes (en l'occurrence italiennes à l'époque de Salvini en particulier), qui finançaient la Libye pour repousser les bateaux de migrants vers les côtes africaines (les opérations de push-back).

Par ailleurs, je ne peux m'empêcher de me demander ce qui se serait passé si Nour avait osé révéler sa transidentité au moment de sa demande d'asile à Choucha. Et j'ai des doutes sur la vraisemblance de son « camouflage » en femme (quid des poils de barbe, par exemple?) dans des conditions de vie aussi sordides et précaires.

Quoi qu'il en soit, « Seul le mensonge est vrai » emmène au coeur d'une violence difficilement soutenable. le style de l'auteur est à l'image de son sujet : des phrases dures, acérées, brutales, cassantes, qui parlent de déshumanisation et d'intolérance. Et même si quelques lueurs d'espoir semblent surgir pour Nour, il ne faudrait pas perdre de vue que les migrants restent bien trop nombreux à se décomposer au fond de la Méditerranée ou à croupir dans des camps de rétention sur ses rives. Forteresse Europe, honte à toi.

En partenariat avec les Editions Eyrolles via une opération Masse Critique privilégiée de Babelio.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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