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Critique de Iansougourmer


Je vois que ce livre a déjà été amplement commenté, et certaines critiques me paraissent très bonnes. Je vais donc me permettre d'être un peu fantasque et de livrer pèle mêle mes réflexions et impressions à propos de ce livre.

Tout d'abord, je pense que ce livre doit être lu quand ces conditions sont réunies :
1 – en été, au bord de la mer et sous une chaleur écrasante
2- mettez vous dans l'ambiance en écoutant juste avant d'entamer votre lecture pull bleu marine d'Isabelle Adjani
3- lisez le d'un trait la première fois, puis traînez pendant la deuxième lecture

Pour moi qui lit rarement de la littérature française, il faut vraiment que le livre me plaise pour m'arracher à ma littérature japonaise. Mais certains livres attirent de manière irrésistible, et tel est le cas de Bonjour tristesse.
Il y a d'abord la personnalité de Françoise Sagan. Qui n'a pas en tête l'image de cette femme mondaine, un peu dédaigneuse et lapidaire ? Alors on a envie de voir si cette femme qui paraît si brillante a mérité notre estime, et le premier réflexe afin de se faire une idée sur la question est d'ouvrir son oeuvre la plus connue, son roman précoce qui fit tant de bruit, Bonjour tristesse.
Ce titre est intriguant, un peu théâtral, doux amer et un peu elliptique. N'a t-on pas envie de savoir ce qu'est cette tristesse ? Et quand je vois que ce titre est tiré d'un poème de Paul Eluard, un de mes poètes préférés, je ne peux plus résister et j'ouvre le livre.

Il y a quelque chose de paradoxal dans ce livre.
On sent les sentiments négatifs envahir la jeune femme qui est le personnage principal, cette tension rampante qui menace d'exploser, et surtout le lecteur acquiert la certitude que ce récit ne pourra pas avoir de dénouement heureux. Or, en dépit de ce pessimisme diffus, ce livre conserve une vitalité étonnante qui empêche ce roman d'être uniquement un récit sombre. L'été, le caractère jeune et inconstant de la jeune Cécile et l'ambiance de la côte d'Azur empêchent de tomber dans la morosité. C'est avec grand talent que Françoise Sagan tempère cette tension dramatique par un certain épicurisme forcé qui menace constamment de se transformer en refuge contre la gravité et un futur jugé oppressant.
Car ce livre c'est aussi l'opposition de deux femmes très symboliques. Il y a Anne qui incarne ces femmes bourgeoises un peu mûres pour qui le contrôle de soi même et de leur univers est essentiel, et manifestent donc du dédain pour tout élan violent et choses triviales.
En face d'elle, il y a Cécile, qui représente ces nouveaux riches bohèmes qui se donnent un genre en paradant en société, en refusant les conventions bourgeoises de bon goût et de mesure, en voulant mener une vie oisive.
C'est aussi la confrontation entre ces deux classes aisées que met en scène Françoise Sagan dans ce roman.

Une confrontation qui se traduit par une tension psychologique oppressante.
Le personnage de Cécile me rappelle exactement le personnage qu'incarne James Dean dans A l'est d' Eden, en ce sens que ce sont deux jeunes personnes assez belles et intelligentes qui n'ont pas de soucis matériels mais qui sont comme beaucoup de jeunes mal à l'aise dans le cadre familial. Rien n'explique cette fureur de vivre qu'ils ont entre eux, cette impossibilité qu'ils ont de se plier à une vie banale et rangée. Alors ils sont en colère, rejettent cette colère aigre qu'ils ont en eux et deviennent mauvais. Ils sont lucides du fait que cette colère n'a pas de motif, mais pourtant ils ne peuvent pas s'empêcher de l'éprouver et de s'y plonger avec une sombre griserie et de commettre leurs actes mauvais. Ils vont dégriser trop tard pour que les conséquences de ce qu'ils ont fait ne soient pas graves...
C'est ainsi une forme de banalité du mal que Sagan nous expose, ce mal que l'on développe comme un jeu pour tromper la lassitude, nier sa propre banalité en se créant un rôle de manipulateur.

En face de Cécile, Anne et le père de Cécile. de père, peu à dire sinon qu'il représente la banale médiocrité du parvenu sans scrupules, d'une bonne humeur qui masque mal un profond égoïsme.
Et puis il y a Anne ! Anne, un prénom qui n 'évoque rien sinon la multiplicité des femmes qui ont porté ce prénom. Anne est bourgeoise, mais pas une petite bourgeoise à la Chabrol. Non , Anne c'est cette grande bourgeoisie, avec ces sourires énigmatiques, son rejet du fantasque comme du vulgaire,ce sérieux en toutes circonstances, cette ironie distanciée....
Mais Anne c'est aussi LA femme. Pas la jeune fille un peu tête brûlée comme Cécile, mais ce type de femme au sommet, juste avant le déclin, toute en séduction , suggestion et beauté froide.
Anne n'a qu'un seul défaut, cette perfection trop froide, qui rend jalouse Cécile, qui en fait un complexe d'infériorité maladif dans le chaleur de la côte d'azur ou tout n'incite qu'à la séduction....
Mais finalement, Anne n'est qu'une femme, exceptionnelle, mais femme. Une femme seule qui s'accommoderait bien du père de Cécile, domestiqué et embourgeoisé. Comment cette femme brillante et déterminée pourrait elle échouer ? Tout sourit trop à Anne. Et Sagan punit cette réussite insolente par le petit objet pusillanime qu'est Cécile, qui remet Anne à sa condition de femme vulnérable qu'Anne semblait ne pas pouvoir être. Et le lecteur, amer, voit sortir Anne de scène comme elle y était entrée, avec ce charisme silencieux, et reste avec Cécile, honteuse et même pas grandie pas le résultat de son cruel jeu puéril. 
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