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Critique de Agneslitdansonlit


De Pierre Raufast, je n'avais lu que "Le Cerbère blanc", publié en 2020, et ce dans le cadre d'une lecture commune à l'issue de laquelle je restais perplexe. Si l'auteur m'avait bien "embarquée" dans son univers, la porte ouverte en fin de récit sur le fantastique m'avait déconcertée. Pendant que certains de mes compagnons de lecture estimaient justement que c'était là tout le sel du roman.

J'en étais restée à ce sentiment de perplexité lorsque l'on me propose la lecture du dernier ouvrage de ce même auteur, premier d'une trilogie annoncée, cette fois-ci clairement revendiqué comme récit de science-fiction. Un défi intéressant pour moi qui en lis très peu, et puis, une chance de repartir à la rencontre de cet auteur. Merci donc à Babelio et aux éditions de FORGES DE VULCAIN !

Je pars donc à la découverte de "La tragédie de l'Orque" dans son volet premier "La Trilogie Baryonique". On commence dès le titre puisque n'ayant aucune fibre scientifique, je m'interroge avant même d'avoir ouvert le roman : "baryonique... Quèsaco ?"

Le ton était donné car si l'on veut un tant soit peu appréhender l'univers dans lequel Pierre Raufast nous invite, il va falloir concéder à la lecture quelques allers-retours avec des articles de vulgarisation scientifique.

L'auteur en profite pour me catapulter en 2173... Force est de penser que je ne serai plus là depuis longtemps, et grand bien m'aura pris, car le réchauffement climatique a "tenu sa macabre promesse". Malgré une prise de conscience certainement trop tardive et un nouveau mode de production d'énergie délaissant enfin les énergies fossiles, le mal est fait.

Le réchauffement climatique perdure jusqu'en 2100, provoquant de gigantesques migrations et la disparition de 4 milliards d'êtres humains. de nombreux territoires sont devenus des déserts inhabitables et, comme des ruines antiques, des centaines d'éoliennes gisent au sol.

Après avoir planté ce décor climatique, l'auteur redistribue les cartes géopolitiques: l'ordre mondial est impacté puisque la grande majorité des pays signe le pacte de l'EPON (Energy Pact of Nations), leur permettant d'utiliser la technologie de la fusion nucléaire, à condition d'une perte partielle de souveraineté. Ahhh... Voilà qui n'évoque guère un modèle démocratique ! L'énergie est donc comme aujourd'hui un véritable enjeu et c'est elle qui modèle ce qui reste de notre monde.
En effet, l'énergie est fournie gratuitement si les pays adhérents signent une Charte de coopération écologique, économique, sociale, migratoire, médicale... l'EPON est donc, de facto, une organisation mondiale tentaculaire et omniprésente qui, contrôlant les clés de l'énergie, a le monopole du pouvoir des directions géopolitiques. Hum... Pourquoi lorsque je ferme les yeux, m'apparaît Palpatine ?!

Mais revenons sur Terre... Pour mieux en repartir ! Car inutile d'être devin pour prédire qu'il serait temps de chercher un plan B et de projetter un déménagement sur une planète à l'habitabilité similaire à celle que l'on vient de syphonner.

Fort de sa motivation à inscrire cette trilogie baryonique dans le genre de la "hard science-fiction", Pierre Raufast apporte de nombreuses descriptions scientifiques et techniques pour habiller cet univers futuriste avec autant de cohérence que possible en tentant de se projeter 150 ans plus tard.

Et il se concentre autant sur Terre que sur l'espace, via les vaisseaux qui y sont envoyés. Les Orcas, vaisseaux spatiaux sphériques supportant les grandes pressions radiales à l'intérieur d'un trou noir, sillonnent les galaxies grâce au franchissement de plis d'espace-temps.

Outre la "prospection immobilière" pour exporter le genre humain, la mission de ces vaisseaux est la recherche d'antimatière, source d'énergie incroyable, grâce au "minage d'espace-temps". Les mineurs et mineuses d'espace-temps, qui embarquent en binôme, ont donc pour objectif de prospecter à travers les galaxies à la recherche de cette antimatière, permettant la création d'une nouvelle génération d'ordinateurs quantiques miniatures, ultra-puissants et qui pourront être embarqués à bord des vaisseaux Orca. Ainsi les vaisseaux pourront constamment rester en contact avec la Terre, même lors de missions très éloignées.
Mais pour ce faire ils créent des trous noirs et plus spécifiquement des trous de ver, qu'il faudra être capable de refranchir en sens inverse une fois achevée l'exploration, sous peine d'errer comme Ulysse, et surtout avec le risque de ne pouvoir le refermer, celui-ci étant capable d'avaler la matière, et donc les planètes proches !
En l'occurrence, celui crée à proximité de Mars, par Sara et Slow, binôme de l'équipage exclusivement féminin de l'Orca-7131, a été ouvert sans pouvoir être refermé, suite à une avarie sur le vaisseau... le trou noir menace la Lune de s'éloigner de la Terre, ce qui réduirait l'effet des marées et bouleverserait le climat... Et franchement, niveau climat, la "coupe est déjà pleine"!

Sur Terre, c'est la panique. Comment secourir l'équipage avec qui la liaison est rompue ? Les deux équipières sont-elles d'ailleurs toujours vivantes ? Et surtout, comment refermer ce trou noir menaçant qui ne cesse de grossir, si proche de notre planète ? Un autre équipage, à bord de l'Orca-7013 est désigné pour cette mission de la dernière chance.
Sur Terre des organismes concurrents se déchirent et font de la réussite de cette mission un enjeu de leur rivalité.

Pierre Raufast, après force détails scientifiques, se focalise sur les rapports humains et les problématiques soulevées par ce monde ultra technologique.
Il explore les liens familiaux entre ceux restés sur Terre et ceux embarqués sur les Orcas.
Ainsi il il y a ceux qui "restent à terre" et ceux qui partent à l'aventure.
De nombreux passages, sur le plaisir de quitter la planète, m'ont beaucoup plu, car totalement transposables aux aventuriers des siècles précédents, partant à la conquête de territoires inconnus. Si les pionniers américains fuyaient la pauvreté ou la persécution de leur pays d'origine, les mineurs d'espace-temps poursuivent eux aussi un rêve de liberté à bord de leur vaisseau. Parce que l'exploration spatiale permet de couper ce lien envahissant et unilatéral, ce contact permanent avec la Terre ressenti comme un contrôle omniprésent, les mineurs d'espace-temps présentent de fortes similitudes avec ces explorateurs des contrées vierges terriennes: "J'envie les grands navigateurs d'antan, ou les chevaliers qui partaient en croisade. C'étaient des sacrés aventuriers ; 2 ans, 5 ans, sans recevoir d'ordre, sans donner d'information. En totale autonomie. [...] Sur Terre ou même dans le système solaire, tu es tracé en permanence. Tu ne crois pas que nous avons perdu quelque chose? Une forme de liberté élémentaire et fondamentale?"


Ils fuient une Terre où, sous prétexte de faciliter le quotidien, l'intelligence artificielle régit les vies humaines.
Les humains sont assistés en permanence de robots, "les Experts", soit comme aide technique dans leur domaine professionnel, soit par un robot-nounou dans leur sphère privée, les "Sofia". Certains êtres humains en viennent à regretter un temps qu'ils n'ont pas connu : "Il faut s'éloigner de la Terre , berceau de l'humanité , pour retrouver un semblant d'humanité; pour penser par nous-mêmes, nous affranchir de tous ces Experts artificiels et tous leurs algorithmes qui nous disent à longueur de journée quoi faire, quoi dire et quoi penser."(P55)
Sara et Slow s'interrogent sur leurs libertés quand tous leurs choix sont guidés (voire imposés habilement?) par des êtres artificiels et par un pouvoir numérique: "Je me demande quand même si toute cette technologie n'est pas une forme de castration émotionnelle. Pourquoi se confier à des machines dont l'empathie n'est qu'une simple imitation, le résultat d'un algorithme quantique"?(P57)

D'une façon plus générale, ce roman soulève la question de la perte de liberté dûe à l'avancée technologique. La technologie, si elle peut soulager l'humain de tâches pénibles ou rébarbatives, si elle lui permet de gagner en vitesse d'exécution, a aussi une contrepartie dans la perte de liberté qu'elle induit : "Depuis l'invention du télégraphe, il y a presque 3 siècles, les gens sont toujours sous la supervision constante de leur patron. Quelque soit la distance qui les sépare, un chef a toujours un moyen pour surveiller ses subordonnés ou communiquer avec eux. Moi je n'en peux plus de cet oeil permanent, de ce fil à la patte invisible, de cette injonction à faire son petit compte-rendu quotidien. Quand on traverse un trou de ver, là au moins, on est tout seul. Peinard."(P.173)
Beaucoup de ces remarques m'ont fait sourire car depuis la démocratisation des smartphones, les interrogations des protagonistes, sur le thème de la liberté, sont déjà d'actualité.

Pendant que certains s'interrogent sur les risques induits par la technologie, d'autres sont très clairement dans la défiance et des communautés anti-progrés, comme les Bernanos, se multiplient.
L'utilisation de ces robots ne fait pas l'unanimité. Beaucoup de Terriens s'interrogent sur leur capacités à se retourner contre les Humains, car ces machines peuvent constituer en tant qu'armée l'outil d'un pouvoir. "La peur des machines était viscérale, similaire à la peur des loups et à celle de toutes ces bêtes sauvages et imaginaires que l'on ne connaît pas" (P.124) Les plus jeunes voient émerger une menace lancinante : "On met la lumière sur l'antimatière et pendant ce temps, TT-Bot monte des armées de robots en catimini sur d'autres planètes [...] Et c'est nous qui serons les premières victimes une fois que tout le système se mettra en place."(P.139)

On pourrait les taxer de complotiste dans un monde "bien huilé" en apparence, pourtant Pierre Raufast laisse émerger le côté sombre de certains personnages, et laisse filtrer des manoeuvres inquiétantes, laissant présager qu'une lutte s'annonce dans les 2 prochains volets.

Au final, je dois quand même souligner que j'ai dû accompagner ma lecture de nombreuses prises de notes, car le récit est dense, bien sûr déjà au niveau scientifique où je me suis régulièrement sentie perdue, mais aussi concernant la pluralité des personnages, afin de m'aider à me repérer dans les liens entre chacun et leur rôle sur Terre ou dans l'espace.

L'investissement de l'auteur dans l'application à créer un univers futuriste cohérent engendre quelques lourdeurs qui affectent la fluidité du récit et, à mon avis, au détriment de la finesse dans la description des personnages. Certains traits sont trop appuyés et parfois caricaturaux. Je repense à un des rares ouvrages de science-fiction que j'ai lu, plutôt Space Opera: "Cantique pour les étoiles" de Simon Jimenez. le cadre avait été long à s'installer, mais c'est sûrement une nécessité lorsqu'on veut immerger le lecteur dans un monde qui ne va pas de soi puisque intrinsèquement, il n'existe pas (encore !). Malgré cela, la longueur du récit avait permis un développement en finesse des personnages.

C'est pourquoi j'espère que les prochains tomes permettront à Pierre Raufast de relâcher un peu le côté scientifique pour laisser éclore une belle gamme de comportements et sentiments humains.
Pour terminer, j'ai apprécié certains passages qui m'ont vraiment donné une idée de ce que serait le 22ème siècle, parfois à travers un aspect anecdotique, mais ils restent à mon goût trop ponctuels et je ne parviens pas à m'immerger totalement dans ce récit du fait de "trous" dans une trame incomplète. J'aurais aimé plus de passages comme celui-ci:
"Dans le silence du cimetière, il aimait marcher lentement. Sur son passage, les hologrammes mémoriels se déclenchaient et racontaient la vie de tous ces disparus. Certains défunts se mettaient en scène dans des séquences troublantes, tournées de leur vivant, expliquant combien ils étaient désormais en paix. D'autres retraçaient leur vie avec des hologrammes d'archive." (P.328)
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