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Critique de Isidoreinthedark


En découvrant un DVD envoyé par un ami qu'il n'a pas revu depuis quarante ans, Michael Miller pressent qu'il n'en a tout pas tout à fait terminé avec les sombres parfums de Saïgon, et qu'il est encore temps de lever le voile sur le mystère tragique qui le tourmente depuis la fin de la guerre du Vietnam.

Veuf et retraité, le narrateur a quitté Londres et vit seul dans la grande demeure au bord de l'Atlantique dont rêvait sa défunte femme. Cet enfant d'une bourgade des grandes plaines, jeune diplomate timide et cultivé, se retrouve en poste à Saïgon en 1973, au moment où les États-Unis s'apprêtent à quitter le Vietnam. Simple gratte-papier dans une agence de renseignement, il ne se doute pas encore qu'il vit les dernières heures de la présence américaine dans une ville sur le point de tomber aux mains du Viêt-cong.

Sa vie bascule lorsqu'il est recruté officieusement par Ignatus Donovan, un agent de la CIA. le narrateur a grandi chez les presbytériens pour qui la rectitude morale n'est pas un vain mot. Frais diplômé de l'université, féru de littérature, il va découvrir l'odieuse réalité du conflit finissant. Propagande éhontée qui prétend qu'une victoire américaine est toujours possible, massacres de civils vietnamiens commis par une armée qui a perdu ses repères, torture cruelle d'un agent Viêt-cong, rien ne sera épargné au jeune homme.

Si Ignatus Donovan n'est pas tout à fait le colonel Kurtz, il conduira pourtant Michael Millerau coeur des ténèbres. L'agent d'origine irlandaise est un loup solitaire qui a tissé sa toile à Saïgon, et tente de dissiper le nuage de mensonges que répand l'ambassade américaine. C'est aussi un homme au bord de la rupture qui est prêt à tout pour faire connaître l'imminence de la défaite à Washington.

Michael accompagne fréquemment « Iggy » à la Porte Bleue, un restaurant tenu par un couple d'informateurs vietnamiens. Il y découvre la jeune Tuyen, une beauté surgie au creux de la nuit, une rencontre qui le hante encore quarante ans plus tard, lorsqu'il comprend que le passé l'a rattrapé, et qu'une ultime mission au service de Donovan l'attend dans le désert mexicain.

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« Douze espions sont partis en Canaan
Dix étaient méchants et deux étaient bons
Les uns ont vu se dresser des géants
Et des grappes de raisin tomber des sarments
D'autres ont vu Dieu partout présent
Dix étaient méchants et deux étaient bons »

C'est par cette chanson issue des souvenirs de l'enfance presbytérienne de Michael que débute le roman. Une chanson qui fait référence au Livre des Nombres où Moïse envoie douze espions pour explorer le pays de Canaan. Seuls Caleb et Josué assureront au prophète que la conquête de la terre promise aux Israélites par l'Éternel est envisageable.

Une chanson qui apparaît a posteriori comme une parabole ironique du roman de David Park où Michael Miller forme avec Ignatus Dovonan un couple improbable d'espions tentant de faire admettre le caractère inéluctable d'une défaite américaine.

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« Un espion en Canaan » est un roman doux-amer, qui déchire le voile de l'hypocrisie de la guerre du Vietnam finissante à travers le regard d'un jeune homme pétri de certitudes morales, emporté dans le jeu de dupes que mène son mentor tourmenté.

« J'ai essayé de me dédouaner en invoquant cette clause de sortie vieille comme le monde - j'agissais pour le bien commun. Je sais à présent que c'est le concept le plus vague et malléable qui soit, et qu'il nous autorise souvent à agir en présence de vérités plus précises quoique désagréables. »

Le roman de Joseph Park rend hommage à Joseph Conrad en abordant l'impossible quête de rédemption de son héros désenchanté qui se retourne sur son passé trouble, avant d'affronter le dernier acte d'une vie marquée au fer rouge par ces quelques mois passés dans les dédales obscurs de Saïgon.

Le récit introspectif de Michael Miller examine sans concessions les mensonges et les faux-semblants inhérents à la mission qui lui a été confiée auprès d'un agent de la CIA sans scrupules. Il nous propose surtout un regard d'une acuité saisissante sur la fin peu glorieuse de la présence américaine dans ce lieu de perdition qui portait le nom de Saïgon.

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