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Critique de Rodin_Marcel


Mona Ozouf - "Composition française : retour sur une enfance bretonne" - Gallimard / Folio, 2009 (ISBN 978-2070124640)

Autant l'avouer d'emblée : je suis très déçu ! J'ai abandonné à la page 217, car à partir de la page 189 le lecteur se trouve confronté à un texte intitulé "composition française" qui n'a plus rien à voir avec le début de l'ouvrage puisqu'il s'agit d'une interprétation personnelle de la Révolution Française, probablement fort intéressante mais qui n'était pas dans mes intentions de lecture lorsque je plongeai dans cet ouvrage.

Revenons au point de départ. J'avais acquis ce livre essentiellement parce que l'auteur, Mona Ozouf, est une historienne reconnue, certes spécialiste de la Révolution Française, mais que – selon la publicité – elle entreprenait ici de nous livrer son autobiographie : j'étais donc bien curieux de vérifier comment une historienne professionnelle allait s'y prendre pour élaborer son propre récit historique. Grande déception, elle se limite à relater chronologiquement son enfance puis son adolescence jusqu'à son entrée à l'Ecole Normale.
J'attendais beaucoup d'une relation sur la période 1939-1945 : quasiment rien non plus.

Chose que j'ignorais, elle est d'origine bretonne, issue d'un père qui fut un militant de la cause "bretonnante". Elle s'étend longuement sur ce passé, mais sans apporter de témoignage approfondi. Je suis peut-être injuste, car issu d'une famille qui a toujours vécu sur les "marches de l'empire français", au bord des frontières, là où le français normalisé parisien n'était pas forcément l'idiome le plus répandu, là où l'éducation catholique papiste (fût-elle laïcisée par les hussards de la République ayant échangé un culte pour un autre) n'était pas forcément la plus prégnante, là où le siècle des guerres (1870-1970) a laissé des traces très profondes inconnues dans le reste de la France, bref, là où (quelle horreur !) se parlaient des dialectes germaniques ; j'ai aggravé encore mon cas en vivant une bonne quinzaine d'années en Alsace (im Krummen Elsass).
Autant dire que la thématique des régions à fort particularisme dressées contre le centralisme parisien, je connais à fond, d'autant plus que cet aspect des langues et cultures minoritaires m'a toujours intéressé depuis mon plus jeune âge, forcément. Tout ce qu'écrit Mona Ozouf sur l'articulation entre ses origines bretonnes et sa scolarisation dans le cadre de la troisième République archi-jacobine, tout cela m'est donc bien connu, et elle ne m'apprend rien de plus : quel dommage ! D'autant plus qu'elle ne creuse pas cette question, elle se borne à relater ce qui fut.

Malgré tout, concernant l'école, il y a des passages entiers que les gens de ma génération peuvent reprendre mot pour mot, surtout lorsqu'elle aborde ce parfait égalitarisme (de façade) de la blouse grise, cultivé par les instituteurs, qui érigeait une barrière étanche entre le monde de la maison familiale et les réalités scolaires(voir citation de la page 113).
La justesse de cette observation est indéniable mais l'auteur ne va pas jusqu'à son terme. Il est vrai que, dans notre génération, nous pouvions aimer l'école passionnément justement parce qu'elle était préservée de toutes les saloperies mises en oeuvre par le monde des adultes, justement parce que nos instituteurs pouvaient consacrer tout leur temps à nous instruire, dans la certitude de bénéficier de l'appui inconditionnel des familles.
Il est vrai aussi qu'il ne me serait jamais, ô grand jamais, venu à l'esprit de raconter dans une rédaction quelque chose de véridique, tiré de la vie réelle : Mona Ozouf a raison d'écrire que les instituteurs le suggéraient tout aussi fortement qu'implicitement. Mais à cela s'ajoutait l'attitude du cercle familial : ma grand-mère nous assénait régulièrement la formule "rien ne doit sortir d'ici", prononcée sur un ton si terrible qu'il nous était impossible de la transgresser. C'était encore l'époque où la vie privée ne venait pas polluer l'école, où il ne venait à personne l'idée d'étaler sa vie privée, encore moins sa vie intime.

Autre aspect : nous autres élèves savions fort bien que – dans nos rédactions – il nous fallait utiliser le beau vocabulaire, les mots du dimanche, ainsi que de belles phrases. Un peu plus âgé, je me suis souvent interrogé là-dessus, et cela m'intrigue encore aujourd'hui : pour moi qui – déjà à cet âge-là – lisais énormément tout en mémorisant facilement, c'était facile de ressortir des histoires glanées dans les livres, avec le vocabulaire y afférent (effroyable plagiat ?). Je me souviens même avoir écrit une rédaction où je vivais carrément dans la préhistoire, au milieu des mammouths, plagiant allègrement en toute naïveté le livre de Rosny aîné que je venais de lire dans une version "pour la jeunesse" !
Mais comment faisaient donc les rares gamins qui ne lisaient pratiquement rien ou très peu ? Mystère... car je n'ai jamais eu l'occasion à cette époque de lire les rédactions de mes petits camarades. Je me souviens nettement d'une scène, au collège "de garçons" qui venait de s'ouvrir à quelques filles (incroyable révolution, c'était pourtant avant mai 1968 puisque j'étais en cinquième). Nous devions trouver des synonymes de l'expression "embêter quelqu'un". L'une des gamines, très chic et distinguée, lève son doigt, et demande d'une voix mal assurée et qui va baissant :
"- j'ai peut-être un mot, mais je ne sais pas si c'est vraiment du français... ce serait... enquiquiner"
Même nous les garçons restâmes bouche bée devant une telle audace ! Mine effarée du prof de lettres, qui décide immédiatement que "ce n'est pas un mot à utiliser en classe" et encore moins "par écrit". Car en plus, "ces mots-là" étaient taxés de n'être "pas du français"...

Bref, c'était une époque où les gens différenciaient leurs strates de vie, où l'on apprenait à distinguer entre la vie publique et la vie privée, c'est là peut-être que gît l'explication que Mona Ozouf ne nous donne pas.

Pourtant, elle effleure l'essentiel, comme dans ce bref éclair (p. 152)
"... la tradition [i.e. ici l'héritage familial] en effet est une voix qui nous a été transmise par autrui, où notre volonté personnelle n'a pas eu de part, que nous avons trouvé comme un déjà-là nécessaire, mais qui a germé en nous à notre insu au point d'être devenu nôtre."

Mona Ozouf étant enseignante, je vais conclure par l'appréciation qui me laissait tellement perplexe en tant que galopiot : "peut mieux faire".
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