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Critique de Nastasia-B


La version du Tartuffe que nous connaissons n'est pas la pièce féroce, la bourrade farouchement anticléricale qu'avait tout d'abord écrite Molière et qui plaisait au roi.

Celle qui subsiste est une version remaniée, aménagée, allégée, adoucie, amoindrie, ramollie pour la rendre acceptable par le clergé d'alors car Louis XIV avait beau apprécier son dramaturge, il ne pouvait se passer de l'église pour mener sa politique, illustrant avant l'heure la vision exprimée si clairement par Napoléon, comme quoi, pour gouverner il n'avait pas besoin de dieu, mais de religion, si.

La version originale du Tartuffe est encore l'objet de discussions et discordes, les uns prétextant qu'elle n'était pas très différente, les autres arguant que l'imposteur à la fin tirait tous les bénéfices au déni total de toute forme de moralité. Hormis qu'elle devait comporter trois actes au lieu de cinq actuellement, le fin mot de tout ça, le vrai du faux, nous ne l'auront probablement jamais.

Cette pièce n'en demeure pas moins, malgré ou en raison des transformations qu'elle a dû subir, l'un des fleurons de l'auteur. C'est l'une des toutes premières très grandes comédies que nous a légué Molière et elle est remarquable à plus d'un titre.

Tout d'abord, d'un point de vue scénique et dramaturgique, il réussit une entrée en scène particulièrement tonitruante sous la houlette de Madame Pernelle. Cependant, le tour d'astuce, le trait de génie de Molière dans cette pièce est de faire en sorte que du personnage central on n'entende parler que par jugements interposés et que sa voix vraiment, pendant deux actes pleins, on ne l'entende point.

Ainsi c'est l'aptitude des uns et des autres à nous convaincre (plus qu'une réflexion qui nous serait propre) qui nous place dans les dispositions voulues pour accueillir Tartuffe en l'exécrant avant même de l'avoir rencontré. de la sorte, le chemin de pensée des autres, on se le fait sien ; procédé particulièrement efficace et payant scénographiquement parlant.

L'un des grands points forts de cette comédie est aussi la qualité remarquable de son écriture, où certains de ses vers souffrent la comparaison avec les grands tragédiens d'alors. Au passage, j'en profite pour mentionner que Molière, au travers du personnage de la servante Dorine, l'un des personnages les plus lucides de la composition, règle son compte à la tragédie, jugez plutôt :

« DORINE :
Sur cette union quelle est donc votre attente ?
MARIANE :
De me donner la mort si l'on me violente.
DORINE :
Fort bien : c'est un recours où je ne songeais pas ;
Vous n'avez qu'à mourir pour sortir d'embarras ;
Le remède sans doute est merveilleux. J'enrage
Lorsque j'entends tenir ces sortes de langage. »

Si ce n'est pas une petite pierre lancée dans le jardin de Corneille et Racine, je ne m'y connais plus.

Sur les procédés comiques proprement dits, il faut encore louer cette trouvaille de nom : Tartuffe. Un nom qui évoque à la fois la tarte et la truffe, sans oublier le tuf, cette roche poreuse et de faible qualité mais qui fait illusion, véritable allégorie du personnage qu'elle désigne.

Sans oublier que la double consonance en « t » ne jouit pas d'un grand prestige en français car elle rappelle des mots comme tordu, tortueux, tortillard ou surtout tartine comme nous le laisse entendre le vers 674 : « Non, vous serez, ma foi ! tartuffiée. »

Outre ce déluge d'éloges que je dresse depuis tout à l'heure, il me faut quand même admettre que le comique de cette pièce n'est pas toujours très fort. Quel dommage en effet que Molière ait la passion des gags récurrents et des quiproquos à gros sabots que, personnellement, je trouve assez lourdingues, alors qu'il sait si bien sans cela, à d'autres endroits, dans la teneur d'une réplique, manier force et finesse, et envoyer son fait et bien mieux faire rire qu'avec ces gags poussifs, gros comme des menhirs. Mais bon, c'est ainsi, c'est la marque d'une époque, sachons trier les bons grains de l'ivraie dont cette moisson foisonne.

En deux mots, la trame, quelle est-elle ? Nous avons Orgon, l'inévitable gros bourgeois ou faible aristocrate, qui possède plus de richesse que de discernement. Cette fois-ci, il s'est entiché d'un miséreux, fort dévot, qui par ses cajoleries a su s'attirer toutes les grâces du maître de maison au point d'être logé, choyé, écouté et grassement rétribué sous ses airs de serviteur de la foi. Vous avez bien sûr reconnu le Tartuffe. (Un type de personne, le faux dévot, qui ne devait pas être rare à l'époque puisque La Bruyère les étrille copieusement aussi dans ses Caractères.)

La sauce prend un tour aigre lorsque notre brave Orgon, tellement hypnotisé par les hautes valeurs du Tartuffe, décide de lui octroyer la main de sa fille Mariane, laquelle main était déjà promise de longue date à l'honorable Valère. Mais c'est plutôt la nouvelle femme d'Orgon, Elmire, que le Tartuffe mire. La femme, la fille, l'argent… que faudra-t-il encore au vorace Tartuffe ? C'est ce que je m'autorise à ne vous pas dire.

C'est donc du très bon Molière, à l'écriture magnifique, avec la limitation que j'ai exprimée plus haut sur la teneur du comique ainsi que celle que je fais maintenant, sur la thématique du faux dévot, plus exactement d'actualité, car plus spécialement un mal qui gangrène la société, même si le trait de caractère qu'elle dénonce, l'hypocrisie, la fourberie et la voix double, font merveille aujourd'hui comme alors, et pour longtemps encore car c'est là quelque trait constitutif, universel chez l'humain. Mais tout ceci bien sûr, ne représente que mon avis, un parmi tellement d'autres, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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