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Critique de domi_troizarsouilles


Je suis tombée sur ce livre parmi les nouveautés proposées au catalogue de Lirtuel (la bibliothèque virtuelle belge francophone) et ai été attirée, sans doute par la couverture atypique, ou par le fait que je l'avais repéré en librairie, sans même le soulever de son rayon cela dit. C'était l'occasion de voir de quoi il en retournait et, si au final ce n'est pas un regret, je suis quand même mitigée sur certains points. Peut-être tout simplement parce que je ne fais pas partie du lectorat visé (implicitement ou non, je ne sais) par l'autrice ? J'ai en tout cas le sentiment que, outre son côté très féministe clairement revendicateur, ce livre est aussi très « racisé ». Or, si je suis femme, et que dès lors plus d'un côté de ce livre m'a touchée, je suis aussi très blanche, et j'ai eu du mal avec certains passages…

Ainsi, l'autrice nous propose le portrait de trois (et même quatre, même si la première n'a droit qu'à peu de pages) femmes, Noires, cherchant farouchement leur « liberté » à travers – ou malgré - les standards de leur époque respective. On a d'abord Maw Maw, la première qui est présentée au lecteur : la grand-mère, sage-femme de mère en fille, pratiquant de façon spontanée le hoodoo, tout simplement parce que c'est naturel pour elle. Elle transmet ce qu'elle peut à sa petite-fille Grace, qu'elle a élevée, avant d'être jetée en prison pour des raisons tellement peu acceptables, dans ce Sud (des États-Unis) pauvre et surtout, encore très raciste… C'est là que commence réellement l'histoire de Grace, la première des trois femmes reconnues par le résumé de l'éditeur : encore enfant, elle est recueillie par une lointaine tante qui a réussi à s'élever dans la bonne société Noire de New York. Elle y découvre la malveillance de cette tante qui ne veut pas de cette petite campagnarde, elle y est coupée de ses racines hoodoo, mais elle y découvre aussi l'amour, cet Amour adolescent merveilleux et plein de promesses pour une jeune fille sans réel avenir. Enceinte à 16 ans, alors que son amant est parti dans sa famille pour échapper à d'éventuelles poursuites, lui qui était très actif dans la lutte pour les droits civiques, elle se voit enlever son bébé de force, alors qu'elle le voulait et l'aimait déjà de toutes ses forces…

On passe alors sans transition à la vie de Delores, que tout le monde appelle LoLo, femme au passé elle aussi difficile, meurtrie dans son esprit et dans sa chair, mais qui a réussi et veut maintenir envers et contre tout l'image du couple idéal, avec son Tommy dont elle est follement amoureuse. Comme ils ne peuvent avoir d'enfant, et que la présence d'enfants est alors indispensable pour montrer la virilité d'un homme (eh oui ! on en est là…), ils décident d'adopter. D'abord un petit garçon, TJ pour Tommy Junior, et ensuite une petite fille, Rae, que le lecteur comprend quasi aussitôt être le bébé de Grace, que sa méchante tante avait abandonné devant un orphelinat.
On navigue alors dans les époques, entre passages dans le présent du livre et flashes back dans la jeunesse de LoLo, dans une (très) longue deuxième partie consacrée essentiellement à cette personnage, avant d'arrive à Rae devenue adulte, et qui peu à peu se pose des questions – elle qui avait découvert, à l'âge de 12 ans, qu'elle avait été adoptée, mais n'en avait jamais parlé à quiconque, jusqu'à devenir mère elle-même…

Ce livre parle de toutes ces relations entre les femmes de ces différentes générations, et même s'il n'y aura jamais de lien direct entre Grace et Rae , les deux resteront liées malgré tout au-delà de ce qui est directement visible, par petites touches bien amenées par l'autrice.
Ce livre parle de la quête d'identité et de liberté de ces femmes, Noires et profondément seules même dans leur couple, traversant diverses crises propres à leur époque ou intemporelles, allant parfois très loin dans le désespoir et le malheur, mais visant toujours le mieux et l'espoir.
Par ailleurs, on mange beaucoup dans ce livre (sourire), et même si on n'en est pas à nous donner des recettes de plats finalement assez basiques et sans aucun doute roboratifs – l'autrice ne nous parle pas de haute cuisine à la française, mais bien de plats de tous les jours qui permettent à une famille de (sur)vivre ! -, j'ai eu plus d'une fois envie de les rejoindre à table, de goûter à ce fameux gratin de macaronis dont LoLo s'était fait une spécialité !
Ainsi, tout simplement, ça nous parle d'humanité à travers trois (quatre) portraits ciselés jusque dans les détails (culinaires notamment), c'est dense, c'est parfois un peu long mais je ne me suis jamais ennuyée.

En revanche, ce sang qui fait le titre, en vo américaine comme en traduction française, c'est ce sang des femmes noires importées depuis l'Afrique, et qui luttent depuis cette période de l'esclavage (évoquée quelquefois, sans être approfondie, ce n'est pas là le but du livre) pour avoir accès aux droits les plus basiques, à travers les époques ; à cette « liberté » de devenir ce qu'elles souhaitent, alors que toute une société – entendez : blanche et raciste - a plutôt tendance à les maintenir dans un carcan prédéfini et sans réelle perspective (d'épanouissement), justement parce qu'elles sont femmes et Noires.

Bon, bon, bon… J'ai déjà lu quelques livres d'autrices Noires américaines, ou parfois d'autrices africaines ayant vécu (au moins en partie) aux États-Unis, et ce type de sujet est assez récurrent – sans doute parce qu'il est brûlant, terriblement réel pour elles toutes, cela semble indéniable !
Mais j'ai eu le sentiment que, à plusieurs reprises, en insistant sur ce côté « femme et (surtout) Noire », l'autrice se tire elle-même une balle dans le pied, et décrédibilise ainsi ses propres héroïnes, au moins un peu…

Prenons par exemple le fait qu'elle souligne et reproche l'image que « les Blancs » se font de l'homme Noir : volage, fornicateur, tabassant sa femme (et accessoirement ses enfants), mauvais travailleur, et j'en passe. Ce n'est pas beau-beau, et ici depuis ma lointaine Europe (par rapport aux États-Unis), je ne peux qu'approuver à quel point cette vision très raciale est forcément erronée ! Mais alors, pourquoi s'emploie-t-elle à dresser des portraits d'hommes, Noirs, qui cumulent plusieurs de ces défauts, parfois même tous !? Pas un, mais vraiment pas un seul de ses personnages masculins n'échappe à la définition qu'elle reproche « aux Blancs » de donner d'eux : est-ce bien cohérent ?

Parlons aussi de ce passage où l'autrice laisse entendre à quel point c'est injuste qu'un (jeune) homme Blanc ait eu le poste que Rae, femme Noire plus âgée et plus compétente, briguait et aurait bien davantage mérité. Les mots sont forts, je cite (ce n'est guère divulgâchant) aux 90% : « Et pourtant, elle était là, assise à son poste, avec sa jambe qui lui envoyait un coup de poignard à chaque battement de coeur, obligée de rendre des comptes à ce blanc-bec de cinq ans de moins qu'elle, qui lui avait été préféré pour ce poste d'encadrement alors qu'il n'avait que quelques mois d'expérience professionnelle contre neuf ans pour elle. (…) Ce mépris, ces préjugés, la conviction que cette Noire prenait la place d'autres personnes plus valables, plus mâles, plus blanches, c'était un relent qui montait de sa langue à chaque fois qu'il s'adressait à elle. »
Sérieusement ? Alors, Denene Millner, enlevons les adjectifs de couleur (et remplaçons « Noire » par « femme » tout simplement) et… oh comme c'est étrange ! la phrase devient (hélas !) universelle ! Il n'y avait franchement pas besoin de raciser ce passage : même ici dans notre vieille Europe, combien de « personnes plus mâles » ont été préférées à une quelconque femme ? Je veux bien croire que la couleur de la peau n'aide pas, surtout aux Etats-Unis, mais là on ne peut s'empêcher de se dire qu'elle ramène tout à son combat, même quand ce n'est franchement pas nécessaire. (Et je ne développerai même pas la situation de certaines femmes dans le monde qui, bien qu'ayant exactement la même couleur de peau que leurs compatriotes masculins, n'ont même pas le droit d'aller à l'école… vous avez dit Afghanistan, par exemple ?)
Bref, elle donne là l'impression de se plaindre pour se plaindre, dans un leitmotiv récurrent chez certaines autrices… mais pour le coup ça ne m'a pas touchée, en tout cas pas sous le prétexte que Rae s'est fait marcher dessus parce qu'elle est Noire, mais bien parce qu'elle est femme, or ce n'est pas ça qui est mis en exergue.

Enfin, je reste profondément perplexe par rapport au passage où LoLo, ayant déménagé dans une autre ville, rencontre leur seule voisine… Blanche ! Cette dernière se présente gentiment, pose quelques questions sur l'arrivée de cette nouvelle famille, tapote la tête de Rae (qui, quant à elle, est très intéressée par cette inconnue tellement différente). C'est donc, à mes yeux d'Européenne ayant grandi dans un village, un comportement « normal » qu'on peut attendre de n'importe quelle dame plus âgée habitant un certain quartier, quand arrivent de nouveaux voisins, dans un esprit d'accueil bienveillant.
Or, même si cette bienveillance tranquille de la fameuse Daisy ressort quelque peu de ce chapitre, on retient surtout les mots terribles que l'autrice emploie quant à la perception que LoLo a de cet accueil (à 48%) : « - Et d'où venez-vous ? [Daisy] posait la question comme si de rien n'était, comme si c'était son droit de se mêler des affaires de LoLo. Comme si c'était son droit de connaître la réponse. LoLo, après vingt-six ans d'existence et de rapports dans l'ensemble discutables – voire hostiles – avec des Blancs, savait que, même à cet instant, cette femme debout sur sa pelouse, dans son jardin, derrière la maison que son mari avait achetée pour elle et leurs enfants, cette femme blanche, aussi facilement qu'elle posait la question, pouvait revendiquer le droit d'en connaître la réponse. »
Non mais vraiment ? Les États-Unis sont incroyablement traumatisés, encore aujourd'hui, pour qu'une simple rencontre bienveillante entre nouveaux voisins devienne une telle source de tension ! L'autrice la souligne plus explicitement encore, à ce moment où Daisy pose la main (gentiment) sur la tête de la petite Rae, à 49% : « LoLo s'éclaircit de nouveau la gorge, cette fois pas parce qu'elle était enrouée, mais parce qu'elle voulait que cette Blanche, cette inconnue, retire ses mains de sa fille. Daisy, qui jusque-là était restée dans son monde, aveugle à la dynamique raciale qui crépitait dans l'air entre elles, comprit enfin. Elle recula d'un pas et inspira profondément. (…) Elle commençait à s'habituer à leur réaction devant elle, mais leur peur lui faisait encore un choc. »

Dynamique raciale ??? sérieusement ? En tout cas, il semble bien que, pour l'autrice, tout se définit par ce prisme-là, avec cet exemple de la rencontre avec Daisy qui synthétise le pire.
Or, c'est bien beau de reprocher encore et encore aux Blancs d'être racistes (comme si le racisme était une exclusivité blanche ?!… mais je sors du sujet), mais si on recule face à la moindre main tendue, parce qu'on est Noire et femme, parce que la pourtant gentille dame mais Blanche en face de soi porte malgré elle le poids de plusieurs siècles d'esclavagisme sur ses épaules pourtant bienveillantes, alors il n'y aura jamais de réconciliation aux États-Unis, jamais de vivre ensemble où tout le monde a sa place, indépendamment de la couleur de sa peau (et accessoirement de son genre) ?
Je regrette profondément ce point de vue, qui plus est assez tranché, de l'autrice. Oh ! je ne doute pas qu'elle ait raison, qu'elle base ses écrits sur son propre vécu et celui de ses proches. Mais en insistant à ce point là-dessus, en faisant un combat du moindre geste même quand il est réellement bienveillant, alors la ségrégation aux États-Unis a encore de bien beaux jours devant elle !
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