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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2023 # 30 °°°

Ce vibrant roman est une épopée intime explorant le lien entre trois femmes afro-américaines qui doivent faire face aux forces, grandes ou petites, qui veulent les priver de leur liberté, dignité ou estime de soi : Grace, une mère biologique à qui on enlève son bébé dès son accouchement ; Delores, la mère adoptive qui élève cet enfant ; Rae, la femme que devient cette enfant adoptée, elle-même devenant mère.

Dès les premières pages, on sent à quel point Denene Millner est engagée dans cette histoire multigénérationnelle qu'elle choisit de raconter en trois livres successifs, un par femme, se déployant de 1964 à 2005. On sent qu'elle a écrit avec ses tripes pour que ses trois personnages principaux, et tous ceux qui gravitent autour d'eux, existent au point de sortir des pages.

Le plus touchant est celui de Grace dont le drame, même lorsqu'elle a disparu des pages, reste en mémoire, comme une empreinte voilée. Mais celui qui m'a le plus marquée est celui de Delores, la survivante, magnifique personnage à haute complexité. C'est celle à qui l'autrice offre le plus d'évolution dans le regard que le lecteur porte sur elle, tour à tour hargneuse, violente, maladroite et aimante, tellement cadenassée dans ses traumatismes originels qu'elle ne sait comment montrer son amour à ses enfants adoptés et chéris.

J'adore ce passage où elle est submergée par des souvenirs de sa mère, alors qu'elle nourrit Rae avec de l'oeuf au bout de ses doigts :

«  Ce simple geste d'amour la reliait non seulement à cette petite fille qui était maintenant sienne, mais aussi à sa propre mère qui, elle s'en souvenait, la nourrissait de la même manière. C'était un des seuls souvenirs qu'elle gardait d'elle. de temps en temps, quand elle se laissait aller à materner ses enfants sans retenue et qu'elle avait le courage d'endurer la douleur du souvenir – c'est-à-dire pas très souvent -, elle s'asseyait, fermait les yeux très fort et s'efforçait de se rappeler ses traits, mais même en se concentrant à fond, jusqu'à en faire surgir les larmes, elle ne voyait pas ses yeux, ni ses pommettes, son sourire, ses cheveux. Rien que ses doigts, longs, agiles, calleux, qui plongeaient dans les oeufs et se tendaient vers sa bouche. Cette tendresse-là, elle ne l'avait plus jamais connue après la mort de sa maman. C'était la tendresse la plus sincère qu'elle puisse transmettre à cette petite. »

J'ai moins accroché avec le personnage de Rae, plus déjà lu, vulnérable car submergée par des émotions qu'elle ne parvient à contrôler depuis qu'elle a découvert, sanas le dire, qu'elle avait été adoptée, mais qui va grandir en devenant mère et ainsi faire bouger les lignes.

Evidemment, le roman est ancré dans l'expérience spécifique des femmes noires américaines ; il y est question du racisme, de la période immédiate post-ségrégration, de la conquête des droits civiques ou de la grande migration du Sud vers New-York. Mais il est surtout traversé par des questions universelles : que faut-il faire pour sauver sa vie lorsqu'on est une femme et qu'on évolue dans une société patriarcale qui vous est défavorable ? comment doit-on se battre pour vivre la vie que l'on mérite ? comment être la mère que l'on a choisi d'être et devenir la femme qu'on a rêvé de devenir ? Denene Millner explore ainsi toutes les facettes de la maternité et de la féminité, avec une empathie et une justesse frappantes.

La conduite narrative est admirable, les trois récits se faisant écho, permettant aux nombreuses strates de secrets de disparaitre après un défilé de chagrin, deuil, renoncement, subterfuges. le titre est particulièrement bien choisi tant la question du « sang » innerve les chapitres et questionne : le sang des règles, le sang de l'accouchement, le sang de la transmission et de la filiation, le sang des blessures. Tout cela aurait pu faire un gros bloc de 600 pages pathos à fond. C'est très mélo certes, mais subtil, jusqu'aux très beaux derniers chapitres emplis de couleurs, de lumière et de grâce.




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