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Critique de Nastasia-B


Vous souvenez-vous du vieux western de Sergio Leone, Et Pour Quelques Dollars De Plus ? Le film s’ouvrait sur un carton où il était inscrit en substance (je cite de mémoire) : « Là où la vie n’avait aucune valeur, la mort pouvait parfois en avoir une. Et c’est ainsi que naquirent les chasseurs de primes. » Et bling !, vous aviez la musique d’Ennio Morricone à fond dans les oreilles et l’image où vous crouliez sous un soleil de plomb juste avant qu’un malfrat transpirant et mal rasé avec la tête de l’emploi ne fasse son entrée sur l’écran. Bref, toute une époque…

Là où la vie n’avait aucune valeur, la mort pouvait parfois en avoir une… Voilà ce qui nous raccroche à la pièce d’Arthur Miller. Car dans Mort D’Un Commis Voyageur, la vie des individus ne vaut rien, justement. La seule chose qui prime, c’est l’argent que vous êtes capable de rassembler chaque semaine, c’est l’argent que vous êtes à même de dépenser pour rembourser un crédit, c’est le crédit que vous êtes capable de contracter pour acheter un bien de consommation, c’est le nombre et l’éventail des biens de consommation que vous êtes capable de présenter à vos connaissances quand vous ou elles vous rendez visite.

Oui, c’est bien au système de la société de consommation, la société marchande, la société du chiffre, à l’idéal de la réussite financière auxquels l’auteur s’attaque. Où sont les hommes derrière tout ça ? où sont les êtres, les âmes derrière ce luxe ou ces biens de consommation ? où sont les relations sociales, les rapports humains véritables qu’il y a derrière le credo de « la réussite »

Quel est le sens de cette vie où après avoir travaillé d’arrache pied toute sa misérable existence on se retrouve tout juste apte à avoir épongé les dernières dettes, pour la maison, l’aspirateur et le frigo, au moment où l’on est plus bon à rien, plus bon à vivre pour de vrai une vraie vie avec des vrais hommes ayant des vraies relations sociales dénuées de considérations de business et de rentabilité. On a passé sa vie à payer des études à nos enfants, à s’inquiéter de leur réussite professionnelle plutôt qu’à vraiment les écouter et chercher à les connaître pour eux-mêmes.

C’est de cette vie, c’est de ce système dans lequel nous sommes encore, aujourd’hui plus que jamais, dont Arthur Miller nous parle, dès 1949. Il nous met en garde, il nous dit : n’oubliez pas de vivre, surtout ! N’oubliez pas les moments gratuits, juste d’homme à homme, ceux que vous ne pourrez jamais porter en bracelet ni accrocher au mur mais qui sont pourtant tellement, tellement plus que les zéros sur un compte en banque, tellement plus que toutes les cartes de visite que vous pourrez présenter, aussi prestigieuse que puisse être votre position et votre entreprise.

Attention ! dit-il, si votre vie se résume à produire et acheter, votre vie n’est qu’un bien de consommation comme un autre. Arrêtez seulement de produire et vous ne pourrez plus acheter, si bien que votre existence ne vaudra plus rien du tout, sauf peut-être à considérer le montant de l’assurance-vie que vous aurez été capable de souscrire. Là où la vie n’avait aucune valeur, la mort pouvait parfois en avoir une…

Oui, c’est ça qu’il nous dit l’ami Miller. Il est touchant son Willy, car c’est un bosseur, un trimeur, un brave gars dans le fond, qui met du cœur dans ce qu’il fait, qui croit aux muscles et à la réussite. C’est un brave gars Willy, oui, un vrai brave type qui a roulé sa bosse des affaires toute sa vie sur les routes de la Nouvelle Angleterre en quête de nouveaux clients pour son patron qui doit toujours lui faire obtenir de l’avancement.

C’est un brave gars Willy, qui veut dur comme fer que ses deux fistons réussissent : Biff et Happy. Sait-il seulement ce que ça veut dire réussir ? Et sa femme Linda ? sait-elle ce que cela veut dire réussir pour ses deux fils ? réussir dans son couple ? réussir dans sa vie ?

Le tableau de cette pièce, une maison individuelle à la campagne cernée, étouffée désormais par d’immenses immeubles tout autour qui lui bouchent la vue me rappelle fortement l’album pour enfant La Petite Maison de Virginia Lee Burton et datant de 1942. Je ne serais pas du tout surprise que Miller s’en soit inspiré pour sa pièce, et même pour ses personnages (Biff notamment), vous me direz.

Vous me donnerez votre avis qui, en faisant la navette, signera peut-être la fin du mien. Ce sera donc la mort d’un avis voyageur, c’est-à-dire, bien peu de chose.
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