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Critique de michfred


L'Odyssée est mon livre-fétiche : lu et relu- dès que j'ai su lire, dans les Contes et Légendes d'abord, puis dans la version de Bérard, si douce à l'oreille, et enfin dans celle de Jacottet, en alexandrins magnifiques – traduit et retraduit - au lycée et , à plusieurs reprises, au cours de mes études classiques- joué et rejoué pendant presque deux ans, dans une « tournée théâtrale » et néanmoins scolaire qui fait partie de mes plus chers souvenirs– je faisais Nausicaa, lui Ulysse, une version hellénique de toi Tarzan, moi Jane… à quinze ans, ça ne s'oublie pas…

Bref, je ne vais pas vous raconter ma vie, mais l'Odyssée l'a marquée de son empreinte pleine de fantaisie et de sagesse, de ruses et de souffrances, de tours et de détours…et je n'ai pas été étonnée qu'encore une fois elle me retrouve, dans un tardif retour de boomerang…

J'avais adoré Les Disparus de Mendelsohn et, sitôt qu'elle s'est annoncée à l'horizon de la rentrée littéraire, cette « Odyssée, un père, un fils, une épopée » m'a, bien entendu, fait de l'oeil…Un vieil ami qui me connaît bien m'en a fait cadeau et la flamme s'est rallumée aussitôt ! Je viens de l'emmener dans mes bagages faire un tour sur une île –bretonne, pas grecque !- et ma lecture s'est terminée avec ce joli périple insulaire…

Pas déçue du voyage ! Quelle lecture ! J'ai ressorti mon Bérard et surtout mon petit classique Hachette orange, tout en V.O. Je suis même arrivée, de temps en temps, à lâcher Mendelsohn pour retrouver le poète grec dans le texte, picorer une expression, un hexamètre dactylique –dactyle, spondée, le rap des aèdes !- et me faire bercer par la vague vineuse tandis que l'Aurore aux doigts de rose mettait un peu de baume sur le corps d'Ulysse rejeté sur la plage de Phéacie par la colère de l'Ebranleur du Sol.

"Andra moi ennepe, Mousa, polutropov, hos mala polla plachthè , epei Troiès hierov ptoliethron eperse..."

Le livre de Daniel Mendelsohn court trois challenges à la fois : développer une analyse pointue et convaincante des subtilités de l'Odyssée qui sert de trame à un séminaire universitaire qu'il a donné en tant que professeur de lettres, à Bard College, renouer les liens avec Jay Mendelsohn, son père, un matheux exigeant et peu communicatif , plus craint qu'aimé, qui assiste chaque semaine au cours de son fils , et enfin l'emmener, à l'issue de cette session, dans une croisière qui se propose de suivre le périple d'Ulysse en Méditerrannée…

Relation philologique, pédagogique et filiale à la fois, « Une Odyssée » tisse avec une grande habileté, une vraie finesse aussi, ces trois trames ensemble : le fil de la navette, comme celui des trois Parques le fait pour la vie d'un homme, de sa naissance à sa mort, lie judicieusement le sens du livre, la quête d'une transmission et la découverte d'un père inattendu pour ce fils qui croyait être maître du périple au long cours qu'il a composé et proposé - et qui « apprend » de ses étudiants, ce qui est le propre de toute relation pédagogique, mais qui "apprend" surtout de son père jusqu'aux dernières pages du livre qu'il est train d'écrire …

C'est vrai que l'Odyssée est une épopée étrange, précédée qu'elle est par la quête de Télémaque au début, qui nous dérobe Ulysse jusqu'au chant V. Loin d'être un appendice rajouté ou superflu, la quête de Télémaque, qui n'a jamais connu son père et ne peut donc pas le « reconnaître », donne à l'Odyssée tout entière un éclairage particulier qui permet d'en délivrer l'apologue.

Qu'il s'agisse d'Ulysse pour Télémaque, ou, pour Ulysse, de Télémaque, des Phéaciens, de Circé, de Polyphème, du chien, du porcher Eumée, de la nourrice Euriclée, de Pénélope, et enfin du vieux Laërte , tout le « nostos »- retour- d'Ulysse est marqué par le processus de reconnaissance : qui suis-je ? qui es-tu ? à quoi me reconnais-tu ? es-tu bien sûr(e) qu'il s'agit de moi ? suis-je bien sûr que je puis te faire confiance, que tu m'es resté(e) fidèle ?

Pleine de tours et de détours, l'épopée de ce polutropos Odusseus – Ulysse aux mille tours- fait des retours en arrière étonnants : les récits merveilleux contés par Ulysse aux Phéaciens, l'histoire de sa blessure à la jambe, la chute de Troie narrée par les âmes des morts, etc..

Sans doute parce que, comme la connaissance de soi, comme celle des siens, récit et voyage tournent en rond , suspendus au bon vouloir des dieux - ce qui irrite particulièrement Jay qui trouve vraiment qu'Ulysse a la vie trop facile- mais surtout suspendus à l'identification – souvent douloureuse, lente, difficile- des quelques rares points fixes d'une existence, qui font, de tout retour, une suite d'épreuves mais aussi le suprême but, la plus haute félicité d'une vie. Du Bellay l'a bien dit :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Et s'en est retourné plein d'usage et raison
Vivre entre ses parents le reste de son âge…

Une Odyssée est un récit plein d'échos, de relais, de liens. C'est aussi une réflexion pleine de poésie, de philosophie et de tendresse filiale.

Comme Elpénor le marin d'Ulysse avec sa rame, le vieux Jay reçoit, avec ce livre, le plus beau « sèma » qu'un fils pouvait dresser à son père.

Bouleversant et diablement intelligent.
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