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Critique de Nastasia-B


Cette critique vient en réaction à une critique récente qui, je pense, donne une idée assez piètre de ce livre. Loin de moi l'idée de dénigrer cette critique qui est légitime et parfaitement entendable. Seulement une volonté d'apporter un éclairage autre sur ce livre, que, personnellement, je tiens en TRÈS, TRÈS haute estime. (Je tiens également à apporter quelques précisions eu égard au film de 1967 réalisé par Sydney Pollack et qui se présente comme issu du livre.)

Ce film fut pour moi une cruelle déception ! Moi qui apprécie pourtant les talents de réalisateur de Pollack (notamment dans l'adaptation fameuse de la Ferme Africaine de Karen Blixen), je ne puis que vous inciter à 563000% à vous fier au livre de Mc Coy pour vous faire une idée véritable de l'oeuvre.

Le film me semble aussi lent et ennuyeux que le livre m'apparaît tonique et captivant. Sans être un navet, c'est tellement moins subtil, tellement modifié que ça ne ressemble plus beaucoup à l'original. Je pense notamment au rôle de Gloria interprété par Jane Fonda qui n'a pas grand-chose à voir avec la Gloria du livre. Personnellement, je trouve Jane Fonda imbuvable et caricaturale dans ce rôle.

Qu'en est-il du livre alors ? me direz-vous. Là, c'est une autre paire de manches et je pense qu'il serait très réducteur de s'arrêter au seul scénario. Voici mes raisons :
Au travers de ce petit roman, Horace McCoy a, à la fois le talent de choisir un élément anecdotique du fonctionnement d'une société (l'organisation des marathons de danse sur plusieurs semaines dans les années 1930 sur la côte ouest des USA) qui en illustre le principal dysfonctionnement (voyeurisme, cupidité, mercantilisme sur la vie des gens, etc.) et qui a donc une valeur de généralisation, mais également un talent de narration d'une redoutable efficacité.

Deux personnages, deux paumés, un homme et une femme, deux oubliés du rêve américain, qui cherchent désespérément une place de figurant à Hollywood se rencontrent par hasard.

Gloria décide Robert à participer à un marathon de danse dont la prime semble bien dérisoire, à savoir 1000 dollars, mais 1000 dollars, au milieu des années 30, en Californie, quand on vient d'un trou perdu, c'est presque la fortune !

La grande force de cet exemple réside dans le principe même de l'épreuve, vu qu'au moment où tous sont épuisés et auraient envie de jeter l'éponge, ils ont déjà tellement souffert qu'ils trouvent dommage d'arrêter si prêt du but, et du coup, tous re-signent pour un tour de plus de ce manège abject et sans fin. (En psychologie sociale, ce phénomène est connu sous le nom de " d'erreur de jugement des coûts irrécupérables " — sunk cost fallacy en anglais.) Dans les faits, c'est une attraction sur la fêlure des gens, télé-réalité avant l'heure ou gladiateurs modernes, où l'on attend que l'un des concurrents s'écroule, issue que les commanditaires attendent en refourguant au passage tout un monceau de pacotilles publicitaires.

C'est donc bien une vision qui de nos jours est et demeure pénétrante d'acuité, une réflexion qui n'a pas pris une ride sur notre système actuel (j'écris en cette première moitié de la décennie 2010) alors que le livre date de 1935, sur l'enfer du quotidien, sur la déprime que crée le système dont Gloria est le symbole. (Robert est pris d'extase à un moment, simplement à pouvoir contempler un coucher de soleil pendant quelques minutes.)

Pour continuer le parallèle avec le cinéma entamé plus haut, c'est une dénonciation au moins aussi forte que celle de Chaplin dans Les Temps Modernes. Gloria dit à un moment qu'elle se sent trop fatiguée pour vivre et pas assez courageuse pour mourir. Elle implore alors le coup de grâce à l'infortuné Robert, pauvre bougre et compagnon de descente aux enfers...

Robert et Gloria, d'une certaine manière vont sortir de la route toute tracée, et cela, l'Amérique ne peut le supporter, et elle les broiera pour en faire des exemples. Les organisateurs du concours, tout cyniques qu'ils sont, représentent la force et la faiblesse de l'Amérique, à la fois douée d'une énergie folle pour s'en sortir et mais parallèlement peu regardante sur les moyens à utiliser pour atteindre cet objectif.

Bref, selon moi, un chef-d'oeuvre absolu, fort, tonique et qui imprime l'inconscient, bien plus qu'un simple roman noir, une analyse et une critique sociale pertinentes, il y a, je le répète, toujours d'après moi, de la philosophie là-dessous, il y a de l'analyse sociale fine, il y a un tas de qualités. Je comprends toutefois que nous ayons chacun nos sensibilités différentes et que l'ouvrage puisse laisser certains lecteurs totalement de marbre. Comme je le précise à chaque fois, ceci n'est que mon avis, qu'on ferait peut-être mieux d'achever, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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