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Critique de Antyryia



C'est Pierre Béarn qui est à l'origine de l'expression "Métro, boulot, dodo", qui figurait dans son recueil Couleurs d'usine.
"Au déboulé garçon pointe ton numéro
Pour gagner ainsi le salaire
D'un morne jour utilitaire
Métro, boulot, bistro, mégots, dodo, zéro"
Synonyme de routine, elle m'évoque inévitablement mes années en région parisienne où cinq fois par semaine, j'empruntais à pieds le même trajet. Je descendais le même escalator à la même heure, je montais dans la même rame ; s'il était disponible je m'asseyais sur le même strapontin. Puis je prenais la même correspondance en empruntant les mêmes couloirs, pour arriver finalement au bureau toujours au même moment, sauf incident, anonyme perdu dans la foule matinale.
Ou pas si anonyme que ça finalement.
 
Cette routine c'est également le quotidien de Zoé Walker, une comptable aux habitudes profondément ancrées qui tous les jours emprunte à Londres un chemin identique, donne la même somme d'argent à la même sans-abri, et passe deux heures dans les transports en commun ( le métro et l'Overground, en surface ). Elle travaille pour deux clients : son amie Mélissa qui dirige une chaîne de restaurants et également une agence immobilière au patron peu commode. Tous les jours elle lit la gazette de Londres pour se tenir informée des principales actualités. Jusqu'à ce soir-là, où elle découvre un encart publicitaire pour un site de rencontre, entre les annonces de voyance et de téléphone rose. A son insu, son visage semble promouvoir la page internet de "trouvel-amesoeur.com".
"Ce n'est pas moi, évidemment. Qu'est ce qu'une photo de moi pourrait bien faire dans un journal ?"
 
Maman de deux jeunes adultes, Zoé évoquera en famille cette anecdote troublante et sera à moitié rassurée. D'une part ni ses enfants ni Simon ( l'homme avec lequel elle vit désormais après une difficile séparation ) ne sont sûrs de la reconnaître, et de l'autre il s'agit au pire d'usurpation d'identité : désagréable certes mais pas vraiment de quoi paniquer.
Mais quelques jours plus tard, un meurtre est commis. Et quand Zoé reconnaît la victime, elle est terrorisée. Sa photo avait en effet illustré la publicité de "trouvel-amesoeur.com" un peu auparavant, et s'il y a bien un lien de cause à effet alors elle est peut-être la prochaine sur la liste.
"J'ignore à quoi riment ces publicités et pourquoi ma photo illustre l'une d'elles, mais le danger est bien réél. Je le sens, même s'il est invisible. Et il se rapproche."
 
Seule Kelly Swift prendra ses inquiétudes au sérieux. Affectée à la brigade des transports publics, cette policière fait rapidement le lien avec la photo d'une troisième femme qui elle aussi utilisait le métro et à qui on a volé les clefs. Un inconnu se serait d'ailleurs introduit chez elle et aurait dérobé des sous-vêtements. Kelly essaiera alors à tout prix de rejoindre l'équipe enquêtant sur le meurtre mais elle traîne de fâcheuses casseroles. Sa soeur jumelle a en effet été violée à l'adolescence mais c'est comme si c'était Kelly qui subissait le traumatisme, encore aujourd'hui.
 
"Bonne nouvelle pour toi, tu ne crois pas ? Inutile de te sentir laissée pour compte. Jeune ou vieille, grosse ou mince, blonde ou brune ... Quelqu'un voudra de toi."
Entre les chapitres consacrés à Kelly et ceux offrant le point de vue de Zoé, une troisième personne prend la parole. Un narrateur qui restera longtemps mystérieux et qui semble tirer les ficelles de ce cauchemar pour toutes les proies potentielles ignorant qu'elles sont inscrites sur ce site de rencontre un peu particulier.
"Je te vois. Mais toi tu ne me vois pas."
Quel est son but ? Quels services propose-t-il exactement ? Et comment trouve-t-il ses clients ?
 
Ma lecture m'a beaucoup fait penser à la série Person of Interest. Pour l'aspect informatique et technologique dans un premier temps parce que toutes ces femmes qui croient évoluer anonymement dans les souterrains londoniens semblent étroitement surveillées, quelqu'un est au courant de leurs moindres faits et gestes.
"La machine voit tout, tous les crimes impliquant des citoyens ordinaires."
Quant à ces photos, elles sont l'équivalent en quelque sorte d'un numéro de sécurité sociale que la machine aurait choisi. Il s'agit d'une victime à sauver, mais de qui et de quoi, ce sera aux enquêteurs de le découvrir. S'il est encore temps.
 
L'angoisse monte donc crescendo pour Zoé ( et pour le lecteur ) qui a conscience des risques qu'elle encourt et qui se croit suivie désormais à chacun de ses trajets, à tort ou à raison. du vol au meurtre en passant par l'agression sexuelle, le destin des femmes telles qu'elle qui semblent intéresser une clientèle masculine dégénérée est aléatoire mais en aucun cas réjouissant. L'angoisse deviendra rapidement paranoïa. Chaque inconnu qui la frôle d'un peu trop près est une menace, chaque regard posé sur elle est forcément calculé, et de la peur légitime à l'hystérie le pas est mince.
"Et si quelqu'un publiait des photos de femmes qu'il s'apprêtait à assassiner et que j'étais la prochaine sur la liste ?"
Même son entourage, qui demeure sceptique sur l'existence de cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, n'est pas fiable. Qui est exactement cet Isaac, qui serait tombé sous le charme de sa fille et qui lui fait miroiter une carrière d'actrice ? Comme dans tout thriller psychologique qui se respecte, la famille joue un rôle important et chacun semble dissimuler un secret ou une part d'ombre, des rancoeurs ont également été accumulées et l'entente n'est pas parfaite entre le beau-père et les enfants de Zoé.
 
A mon sens, il ne s'agit cependant pas uniquement d'un thriller psychologique puisque si on a bien en gros plan cette mère, Zoé, qui est dépassée par les évènements et qui essaie de mener sa propre enquête, avec laquelle on partage une anxiété grandissante, l'investigation policière joue également un rôle important et évoque la cybercriminalité de façon compréhensible et permettra de remonter progressivement le fil d'Ariane, du site internet à ses utilisateurs et son concepteur.
Et puis d'un autre côté, la vie de la famille recomposée de Zoé est également aux premières loges du roman sans toujours faire avancer l'intrigue principale. Certains lecteurs y discerneront sûrement quelques longueurs mais outre le fait de multiplier les pistes, la plongée dans le quotidien des Walker permet de mieux nous attacher aux personnages, de nous identifier à certains d'entre eux parce que leurs vies, leurs conversations ou leurs disputes sonnent justes. Je pense par exemple aux combats de coqs entre l'ex-mari toujours amoureux et Simon, le nouveau prétendant parfois maladroit. Suspense, enquête et famille : Je te vois est un juste équilibre entre ces trois aspects complémentaires.
 
Je ne pourrais pas comparer ce roman avec le précédent succès de Clare Mackintosh, Te laisser partir, mais en tout cas ce second livre est une réussite. L'auteure a son style ( qui m'a demandé un court temps d'adaptation, après lequel les pages se sont tournées toutes seules ), son sujet est très original et sans dénoncer la routine du quotidien, les sites de rencontre ( "Qui fonde sa relation sur un penchant commun pour les tapas ?" ) ou les réseaux sociaux, elle arrive très bien à faire passer son message : toujours rester prudent parce que nous ne sommes pas toujours si anonymes que ce que l'on pourrait croire, et qu'il existe des règles de sécurité assez simples pour parer aux dangers éventuels.
 
Et si vous êtes plutôt du genre pervers, alors soyez à l'affût des nouveaux sites de rencontre. L'un d'eux proposera peut-être un service tout à fait inédit, une sorte de jeu de rôle grandeur nature.
"Personne d'autre ne propose ce type de divertissement, ce qui signifie que les clients ne peuvent se permettre de faire les difficiles."
 
 
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