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Critique de Arimbo



J'avais redécouvert, avec l'extraordinaire et baroque À Rebours, Huysmans, dont je n'avais lu, il y a bien longtemps, que La Cathédrale, et dont je me faisais une idée fausse, celle d'un écrivain de la frange catholique de la fin du 19ème siècle.

Je m'étais promis de continuer cette découverte et je viens de terminer un autre roman, sans doute le plus sulfureux, Là-bas.
C'est un récit d'une extraordinaire richesse, par les thèmes multiples qu'il aborde, et d'une admirable écriture.

Là-bas, c'est d'abord, au sein d'une fin de 19 ème siècle positiviste et enthousiasmé par les progrès de la science et de la démocratie, un rejet de son époque par le héros, Durtal, un double de l'écrivain, et un regard porté sur un « Là-bas » rempli de valeurs spirituelles et mystiques, le Moyen-Âge.
Là-bas, c'est aussi l'exploration de ce « Là-bas », le monde surnaturel et invisible de celles et ceux qui recherchent l'absolu, et, comme l'avait si bien décrit Baudelaire, cet absolu peut être au Ciel ou en Enfer, le satanisme n'étant que l'envers noir du mysticisme.

Le roman débute par un dialogue entre l'écrivain Durtal et son ami médecin Des Hermies, dans lequel Des Hermies se livre à une critique en règle du naturalisme, moins celui de Zola que celui de ses suivants, auquel il lui reproche « l'immondice de ses idées », l'absence d'âme et de spiritualité, le matérialisme, et le fait d'avoir introduit « la démocratie dans l'art », une série de réflexions qui m'a semblé trouver écho dans notre début de 21ème siècle.
Cette discussion mène Durtal à ce que devrait être la création littéraire, et, par le détour de l'évocation de ce que peignaient les Primitifs et le souvenir de la Crucifixion du Retable de Mathias Grünewald, à l'idée d'un nouveau chemin pour le roman, celui qui essaierait de saisir tout à la fois la réalité de la vie quotidienne et l'âme des individus, bref un «naturalisme spiritualiste», dont il dit le trouver en partie chez Dostoïevski.

Après ce prologue, le récit sera construit de deux trames parallèles qui vont parcourir tout le roman.

D'abord celle du livre qu'écrit Durtal sur l'histoire de Gilles de Rais, qui de compagnon dévoué et généreux de Jeanne d'Arc, avait cherché l'absolu dans l'occultisme puis le satanisme, et recourant, pour arriver à ses fins, à des expériences insensées et aux crimes les plus abjects sur des enfants. Et cette incessante question qui taraude l'écrivain: comment un homme si croyant, un si bon chrétien, a pu devenir cet homme d'une telle cruauté et d'une telle abjection?
Cette histoire dans l'histoire nous livre des descriptions absolument saisissantes et magnifiques de la vie de Gilles de Rais, de ses méfaits et de son procès.

L'autre partie du récit est faite de la recherche de preuves de l'existence de l'occultisme et du satanisme à la fin du 19ème siècle, l'époque où se passe le roman. Cette plongée se fera, d'une part en rencontrant Carhaix, un ancien séminariste devenu le sonneur de l'Eglise Saint-Sulpice, un homme bien plus érudit que son métier le laisse présumer, et d'autre part, par la liaison de Durtal avec une bien étrange admiratrice, Hyacinthe Chantelouve, au nom si évocateur, et dont Durtal découvre que le corps est, pendant l'amour, froid comme celui d'un succube, ce démon femelle qui vient violer les hommes pendant leur sommeil! Hyacinthe fait partie d'un cercle satanique dirigé par Docre, un inquiétant chanoine, auprès duquel Hyacinthe obtiendra pour Durtal l'autorisation d'assister à une messe noire. le récit nous livre une description saisissante et terrible de cette messe puis de l'écoeurement de Durtal devant la frénésie sexuelle d'Hyacinthe qui veut l'entraîner dans un lit parsemé d'hosties! Bref, on n'est pas loin du roman d'horreur! Mais Huysmans garde toujours une pointe d'ironie, un certain recul à l'égard de ce qu'il nous raconte.
A côté de cet « enfer », les rencontres de Durtal, accompagné de Des Hermies, dans le logis de Carhaix et sa femme, le plus souvent lors de savoureux repas, est une sorte de refuge pour l'écrivain. Ces repas (dont la description est à vous faire saliver!) sont l'occasion de discussions auxquelles participe un astrologue, Gevingey, un ennemi de Docre, et auquel ce dernier a jeté un sortilège mortel, dont il sera délivré par un séjour à Lyon chez un autre chanoine de Docteur Johannes.
Des discussions où l'on sent parfois bien que l'auteur s'amuse avec son lecteur, et qui évoquent aussi bien les vertus de certains mets, que le pouvoir sanctifiant des cloches ou la question de l'occultisme et du satanisme en cette fin de siècle.
La fin du récit, dans laquelle les participants au repas entendent les cris de la rue célébrant la victoire du Général Boulanger aux dernières élections, traduit bien le rejet de leur époque par tous ceux qui sont présents à table.

Ce commentaire ne serait pas complet si je n'évoquais pas les multiples et magnifiques descriptions des lieux et des époques, la finesse (plutôt misogyne) du récit de la relation entre Durtal et Mme Chantelouve, l'écriture superbe, et tous ces mots rares que j'avais déjà tant appréciés dans A rebours.

En conclusion, je vous livre un avis personnel sur le sens de ce livre. Je crois que cette plongée dans le monde du satanisme est, pour le héros , double de l'auteur, une sorte de démonstration « par l'absurde » et par l'ignoble, du surnaturel et du refus du matérialisme. Et en quelque sorte le point de départ d'un chemin qui le mènera à la conversion au catholicisme.

Huysmans, voilà un écrivain qui a rejoint mon Panthéon des auteurs aimés, et dont j'aimerais lire En route et L'Oblat, et relire avec un oeil nouveau La Cathédrale, un auteur formidable que je vous conseille.
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