AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Sofiert


Dans l'épilogue du roman, Jean Hegland confie s'être consolée de la mort de ses parents, tous deux universitaires, en pensant qu'ils sont morts en compagnie de William Shakespeare : son père d'un AVC avec les oeuvres complètes sur les genoux, sa mère en récitant des vers de Hamlet alors qu'elle avait pourtant perdu la mémoire.
En puisant dans sa propre expérience, elle imagine la fin de vie d'un brillant spécialiste de Shakespeare qui a consacré toute son existence à l'étude de son oeuvre.

Lorsque John Hubbard Wilson emménage dans la chambre verte d'une Ehpad, il a déjà perdu beaucoup de ses capacités et son épouse Sally l'apicultrice n'a pas d'autre solution que de le placer. Atteint par la maladie d'Alzheimer, il se retrouve parfois enveloppé par des souvenirs comme autant de perceptions d'un instant vécu qui parfois déclenchent la mémoire d'événements marquants.
" Mais au lieu de répliques et de phrases, lui viennent par association des températures, des poids , des textures, des sensations qui existent au-delà des mots."
Parfois le bruit d'une machine à écrire ou celui de la pluie traverse son esprit comme un fantôme qui s'évanouit, parfois l'éclat de rire d'une petite fille fait remonter à la surface le souvenir d'une enfant qu'il a aimée.
John a perdu tout contact avec Miranda, sa fille unique, à cause d'un mystérieux malentendu lorsqu'elle avait 16 ans, mais Sally décide de la prévenir afin qu'elle puisse revoir son père.

Jean Hegland dépeint magnifiquement comment la passion d'une vie peut interférer avec la vie elle-même. A chaque instant de sa vie, John pense Shakespeare, parle Shakespeare, se référe a Shakespeare.
Lorsqu'une résidente âgée fait irruption dans sa chambre, il la compare à " l'une des reines malmenées de Vie et mort du roi Jean", quand il déclare son amour à Sally il emprunte les serments de Roméo à Juliette.
Mais parfois, il peut laisser venir à lui les souvenirs et c'est ainsi que l'auteure construit son roman : lorsqu'un mot, une image enclenche la mémoire, elle semble se laisser glisser avec lui dans le passé.

On apprend ainsi que John a découvert l'auteur très jeune, comme une révélation qui a fait basculer sa vie. "Seul dans cette salle de classe pleine d'élèves, John reçoit ces vers comme un coup de pied dans le derrière, comme une vague magnifique et puissante qui l'aspire. Il ignorait qu'il existait des mots pour ce qu'il ressentait, il ne savait pas que quelqu'un avait ainsi pu dessiner les contours de sa tristesse, et moins encore que ce quelqu'un s'appelait William Shakespeare. "
A l'adolescence, alors qu'il travaille dans une station-service, il apprend Roméo et Juliette par coeur et, jusque dans la maladie, il est capable de réciter des tirades complètes qui s'intercalent dans les moments du quotidien.
Cette proximité avec une oeuvre littéraire trouve écho dans une conviction humaniste qu'il s'efforce de transmettre à ses étudiants, la foi dans le pouvoir emancipateur de la littérature.
"L'humanisme (...) dont la valeur la plus fondamentale est la croyance que les êtres humains peuvent apprendre, grandir, changer, et que l'art- et la littérature - peut alimenter cette évolution."

Miranda qui porte son héritage bien plus qu'elle ne le croit, envisage de mener une carrière dans les jeux vidéos. Si elle a déçu son père qui l'interroge régulièrement sur l'Université qu'elle a fréquentée, alors qu'elle n'a pas fait d'études, c'est sans doute en réaction contre ce père qui semblait placer sa carrière universitaire au-dessus de sa vie familiale.
Mais Jean Hegland nous montre que la transmission a fonctionné, que le père a laissé à sa fille le goût des histoires qui donnent du sens à l'existence.
Shakespeare, un game designer?
Même si les codes de la narration sont différents, Miranda est convaincue "qu'un art entièrement nouveau attendait d'émerger, un mix où l'on jouerait, où l'on se créerait un rôle et bâtirait des histoires qui auraient le potentiel de transformer- ou même de transcender- tout ça."
Par delà les générations, le pari sur l'intelligence de l'homme et sur sa capacité à changer le monde en inventant des histoires garde son efficacité.

Cette vision de la maladie est à la fois émouvante et réconfortante. Elle nous permet de mettre de côté la déchéance physique et intellectuelle pour saisir l'inepuisable soutien de la littérature. Comme elle serait douloureuse la solitude de celui qui oublie sans le refuge de ces vers qui consolent et qui peuvent même réparer des liens distendus.
Jean Hegland mêle ses mots à ceux de Shakespeare avec pertinence et subtilité. Tout sonne parfaitement juste, et l'on s'étonne qu'une écriture aussi limpide puisse aussi bien rendre compte de la confusion causée par la maladie.



Dans l'épilogue du roman, Jean Hegland confie s'être consolée de la mort de ses parents, tous deux universitaires, en pensant qu'ils sont morts en compagnie de William Shakespeare : son père d'un AVC avec les oeuvres complètes sur les genoux, sa mère en récitant des vers de Hamlet alors qu'elle avait pourtant perdu la mémoire.
En puisant dans sa propre expérience, elle imagine la fin de vie d'un brillant spécialiste de Shakespeare qui a consacré toute son existence à l'étude de son oeuvre.

Lorsque John Hubbard Wilson emménage dans la chambre verte d'une Ehpad, il a déjà perdu beaucoup de ses capacités et son épouse Sally l'apicultrice n'a pas d'autre solution que de le placer. Atteint par la maladie d'Alzheimer, il se retrouve parfois enveloppé par des souvenirs comme autant de perceptions d'un instant vécu qui parfois déclenchent la mémoire d'événements marquants.
" Mais au lieu de répliques et de phrases, lui viennent par association des températures, des poids , des textures, des sensations qui existent au-delà des mots."
Parfois le bruit d'une machine à écrire ou celui de la pluie traverse son esprit comme un fantôme qui s'évanouit, parfois l'éclat de rire d'une petite fille fait remonter à la surface le souvenir d'une enfant qu'il a aimée.
John a perdu tout contact avec Miranda, sa fille unique, à cause d'un mystérieux malentendu lorsqu'elle avait 16 ans, mais Sally décide de la prévenir afin qu'elle puisse revoir son père.

Jean Hegland dépeint magnifiquement comment la passion d'une vie peut interférer avec la vie elle-même. A chaque instant de sa vie, John pense Shakespeare, parle Shakespeare, se référe a Shakespeare.
Lorsqu'une résidente âgée fait irruption dans sa chambre, il la compare à " l'une des reines malmenées de Vie et mort du roi Jean", quand il déclare son amour à Sally il emprunte les serments de Roméo à Juliette.
Mais parfois, il peut laisser venir à lui les souvenirs et c'est ainsi que l'auteure construit son roman : lorsqu'un mot, une image enclenche la mémoire, elle semble se laisser glisser avec lui dans le passé.

On apprend ainsi que John a découvert l'auteur très jeune, comme une révélation qui a fait basculer sa vie. "Seul dans cette salle de classe pleine d'élèves, John reçoit ces vers comme un coup de pied dans le derrière, comme une vague magnifique et puissante qui l'aspire. Il ignorait qu'il existait des mots pour ce qu'il ressentait, il ne savait pas que quelqu'un avait ainsi pu dessiner les contours de sa tristesse, et moins encore que ce quelqu'un s'appelait William Shakespeare. "
A l'adolescence, alors qu'il travaille dans une station-service, il apprend Roméo et Juliette par coeur et, jusque dans la maladie, il est capable de réciter des tirades complètes qui s'intercalent dans les moments du quotidien.
Cette proximité avec une oeuvre littéraire trouve écho dans une conviction humaniste qu'il s'efforce de transmettre à ses étudiants, la foi dans le pouvoir emancipateur de la littérature.
"L'humanisme (...) dont la valeur la plus fondamentale est la croyance que les êtres humains peuvent apprendre, grandir, changer, et que l'art- et la littérature - peut alimenter cette évolution."

Miranda qui porte son héritage bien plus qu'elle ne le croit, envisage de mener une carrière dans les jeux vidéos. Si elle a déçu son père qui l'interroge régulièrement sur l'Université qu'elle a fréquentée, alors qu'elle n'a pas fait d'études, c'est sans doute en réaction contre ce père qui semblait placer sa carrière universitaire au-dessus de sa vie familiale.
Mais Jean Hegland nous montre que la transmission a fonctionné, que le père a laissé à sa fille le goût des histoires qui donnent du sens à l'existence.
Shakespeare, un game designer?
Même si les codes de la narration sont différents, Miranda est convaincue "qu'un art entièrement nouveau attendait d'émerger, un mix où l'on jouerait, où l'on se créerait un rôle et bâtirait des histoires qui auraient le potentiel de transformer- ou même de transcender- tout ça."
Par delà les générations, le pari sur l'intelligence de l'homme et sur sa capacité à changer le monde en inventant des histoires garde son efficacité.

Cette vision de la maladie est à la fois émouvante et réconfortante. Elle nous permet de mettre de côté la déchéance physique et intellectuelle pour saisir l'inepuisable soutien de la littérature. Comme elle serait douloureuse la solitude de celui qui oublie sans le refuge de ces vers qui consolent et qui peuvent même réparer des liens distendus.
Jean Hegland mêle ses mots à ceux de Shakespeare avec pertinence et subtilité. Tout sonne parfaitement juste, et l'on s'étonne qu'une écriture aussi limpide puisse aussi bien rendre compte de la confusion causée par la maladie.



Commenter  J’apprécie          166



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}